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répandu que dans les plaines patagoniennes existaient des villes au nombre de deux ou trois, désignées sous le nom général de Césarès. Ces villes avaient été fondées, disait-on, par des Européens venus on ne savait d’où, et qui, sans communications avec le reste du globe, gardaient des trésors comparables seulement à ceux du Pérou. Ces villes, et cela était consigné dans des documens publiés sous forme authentique, avaient été bâties par des naufragés ou des Espagnols échappés aux massacres qu’en avaient faits les Araucans en 1599. La ville principale était placée près de la lagune Payeque, voisine d’un vaste marais appelé Llanqueco, sans que l’on sût même qui avait imaginé ces noms; on allait jusqu’à décrire ces villes, entourées de fossés et de murs ouverts d’un seul côté, où l’on entrait en passant un pont-levis. Les édifices, les temples étaient somptueux ; l’or et l’argent y abondaient, on décrivait le costume de leurs habitans et jusqu’à la couleur de leurs cheveux; ils parlaient, disait-on, une langue aussi inintelligible pour les Indiens que pour les Espagnols, ne laissaient pénétrer aucun étranger et tenaient à se maintenir dans un isolement des plus complets; mais ils n’avaient, malgré leurs précautions, pu empêcher que des Espagnols et des Indiens ne s’approchassent assez pour entendre le son de leurs cloches. Ces bruits prirent une telle consistance que la cour de Madrid s’en occupa plusieurs fois, et que des édits royaux ordonnèrent des expéditions en Patagonie, qui avaient pour but d’explorer ces terres inconnues et de révéler les secrets qu’elles cachaient. Ces secrets ne valaient vraiment pas l’émotion qu’ils causèrent pendant trois siècles; le père Falkner en donna la clé. Il découvrit, après de nombreuses questions faites aux Indiens de toutes les régions, que, chaque fois qu’il demandait à un Chilien s’il avait quelque connaissance de ces villes, il obtenait une réponse affirmative, mais que tous les détails qu’il recueillait désignaient clairement Buenos-Ayres et les villes fondées sur l’Atlantique; s’il faisait les mêmes questions à un Indien pampa, celui-ci répondait de même, mais désignait, sans en avoir conscience, les villes espagnoles de la côte du Pacifique. Cette confusion réciproque avait donné naissance à des récits que la fantaisie de chacun avait amplifiés. Malgré les révélations de Falkner, six ans après, en 1781, la cour ordonnait encore une exploration; elle ne se fit pas, elle eût été du reste inutile : on ne déracine pas les légendes, et celle-là aujourd’hui encore a ses croyans.

Le voyage de Falkner n’avait pas que ce seul objet. La compagnie lui avait donné mission de l’éclairer sur la possibilité de civiliser les Indiens de Patagonie, et le gouvernement de Buenos-Ayres celle de rechercher les au Leurs des déprédations qui prenaient alors dans la pampa des proportions inquiétantes et que l’on supposait