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le pasteur d’Orient, de l’Orient d’Allah, comme de l’Orient de Jéhovah, comme de l’Orient de Zeus. En voyant ce Kabyle demi-nu, on pense à Paris dans les gorges de l’Ida, à Jacob dans les vallées de la Mésopotamie. Le site même, cette ravine encaissée entre deux montagnes bleuissant aux dernières lueurs du jour, achève l’illusion. Il y a dans le paysage comme dans la figure absence voulue de vérité locale. On sent qu’on est en Orient, mais on ne saurait dire dans quelle contrée. Fromentin a réussi par l’effacement du caractère particulier à atteindre au caractère général. Là est la véritable grandeur de ce petit tableau.

Chez Eugène Fromentin, maître de la plume comme du pinceau, l’œuvre de l’écrivain explique l’œuvre du peintre. À ce point de vue, cette belle page de l’Été dans le Sahara est caractéristique : « Du côté du sud, il n’y a pas de vue ; du côté du nord et du couchant, nous dominons une assez grande étendue de collines et de petites vallées clair-semées de bouquets de bois, de prairies naturelles et de quelques champs cultivés. Les collines se couvraient d’ombres, les bois étaient couleur de bronze, les champs avaient la pâleur exquise des blés nouveaux ; le contour des bois s’indiquait par un filet d’ombres bleues. On eût dit un tapis de velours de trois couleurs et d’épaisseur inégale, rasé court à l’endroit des champs, plus laineux à l’endroit des bois. Dans tout cela, rien de farouche qui fasse penser au voisinage des lions. Le jeu du ciel entre les vastes rameaux d’un grand noyer et de gros nuages orageux roulés en masses étincelantes au-dessus de coteaux devenus bruns, tout cela formait un ensemble de tableau peu oriental, mais qui m’a plu, précisément à cause de sa ressemblance avec la France. »

Ainsi en Afrique ce sont toujours les paysages de France qui ont séduit Eugène Fromentin ; c’est cette recherche plus ou moins inconsciente des frais horizons dans les zones embrasées qui le distingue et lui assigne une place à part entre tous les orientalistes. Dans ses livres de voyage, il parle sans cesse des azurs ardens, des nappes de feu, des reflets de rubis et d’améthystes des montagnes, des vives réverbérations des sables, des clartés roses des aurores et des pourpres sanglantes des couchans. Mais cette nature pleine de soleil qu’a décrite l’écrivain avec tant d’art et de couleur, le peintre, le plus souvent, n’a pas voulu la peindre. De tempérament, sinon d’inspiration, car il avait comme Théophile Gautier « la nostalgie du bien, » Fromentin, en Algérie, est resté un Hollandais. Là est son originalité incontestable. Ce n’est pas à dire, comme on le répète mal à propos, que Fromentin ait travesti l’Afrique, qu’il ait vu et peint l’éclat de l’Orient à travers les brumes transparentes des Pays-Bas. Non, Fromentin a bien vu le désert, et lorsqu’il a cherché à exprimer sur la toile son aridité enflammée, il