Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/894

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a réussi à en donner la juste impression. Mais Fromentin, sans pécher contre la sincérité, avait bien le droit de choisir ses sites et ses sujets. La nature algérienne n’a pas qu’un seul aspect. Dans le désert s’élève l’oasis, près du palmier pousse le chêne-liège, à côté de la mer de sable s’étendent les tapis de mousse des prairies et s’ouvrent les horizons détrempés des grands marais. Or c’est l’oasis, c’est la forêt, c’est la prairie, c’est le marais, que Fromentin a peints de préférence, qui lui ont inspiré ses meilleurs tableaux et qui ont surtout révélé sa personnalité. Le maître rompt soudain avec Decamps et avec Marilhat. Il ne procède plus que de lui-même, et si l’on peut le rattacher à une école, c’est à celle des admirables paysagistes hollandais. Entre les Hollandais et Fromentin, il y a plus d’une affinité. Il a leurs tons fins et harmonieux, leurs effets de lumière douce et tranquille, leur profondeur d’horizon et leur limpidité d’atmosphère. Habillez autrement les personnages de certains petits tableaux de Fromentin, les Cavaliers en observation, par exemple ; mettez-leur le justaucorps et le feutre empanaché au lieu du burnous et du haïk flottant, et vous aurez des Wouwermans et des Karel Dujardin, mais d’une exécution plus légère, plus souple, plus attrayante. C’est le même horizon profond chargé de nuages à formes précises. C’est presque la même composition : au premier plan, sur une éminence, un groupe de cavaliers tenu dans l’ombre, regardant, immobiles, une vaste plaine où se joue le soleil.

Le Pays de la soif, d’une si poignante impression, témoigne que, quelles que fussent ses préférences pour l’oasis, Fromentin n’a pas craint de s’attaquer au désert. Cette scène lui a été inspirée par l’histoire qu’on lui avait contée d’une caravane partie d’El-Aghouat, qui, les outres à eau ayant crevé par suite de l’évaporation, mourut de soif dans le Sahara. Un terrain rocailleux et raviné, où de hautes pierres couleur de fer s’élèvent au milieu du sable brûlant, s’étend sous un ciel ardoisé nuancé de lilas à l’horizon. Des Arabes du Sahara et des nègres des pays du sud se tordent dans les dernières convulsions de la mort par la soif. Les cadavres de leurs compagnons qui, plus heureux, ont résisté moins longtemps à ces tortures gisent rigides sur le sable. Les rochers et le sable se renvoient des effluves embrasées dans une impalpable poussière chaude. Les rayons meurtriers du soleil tombent d’aplomb : pas une ombre ne se marque. Tout est en pleine lumière, et cependant rien n’éclate, rien ne resplendit, tout paraît dans la demi-teinte. « À l’heure de midi, dit Eugène Fromentin, le désert se transforme en une plaine obscure. Le soleil, suspendu à son centre, l’inscrit dans un cercle de lumière dont les rayons égaux le frappent en plein dans tous les sens et partout à la fois. Ce n’est plus de la clarté ni de l’ombre. »

Dans le Sirocco, Fromentin s’est essayé aussi à exprimer avec