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une sincérité un peu téméraire un des phénomènes des climats africains. Le vent du sud pousse devant lui d’épais tourbillons de sable grisâtre qui mettent comme un rideau impénétrable devant l’horizon obscurci. Les tentes se sont abattues, et d’énormes palmiers se penchent, tordus comme des roseaux ; chameaux et conducteurs, couchés à terre, la tête sur le sable, cherchent à aspirer le peu d’air respirable qui se trouve encore dans la plaine ravagée. Si nous avons dit que Fromentin a peint cet effet de simoun avec une sincérité un peu téméraire, c’est que cet effet nous semble très juste et très vrai, mais qu’aussi ce grand rideau de sable qui obstrue l’horizon choque un peu la vue et déroute la pensée. Où Fromentin a tenté encore de peindre l’Afrique avec tout l’éclat de son soleil, c’est dans la Moisson. Le ciel est en feu. Les feuilles vert sombre et les troncs gris des palmiers prennent dans cette atmosphère brûlante des tons et des reflets métalliques. Le terrain calciné est fauve, — couleur de lion, selon la belle expression de Fromentin. Il ne se distingue pas par la couleur de l’immense nappe de blé mûr qui s’étend au loin.

Les aspects embrasés de l’Afrique n’étaient point, nous l’avons dit, ceux que Fromentin peignait le plus volontiers. Toutes ses sympathies étaient pour ces paysages « qui lui rappelaient la France, » où les ciels bleus, clair-semés de légers nuages, s’étendent au-dessus des prairies verdoyantes et des masses ombreuses des bois. Là il excellait, là était son triomphe. Aussi la Chasse au héron, exposée au Salon de 1865, et la Chasse au faucon, qui en est la répétition avec quelques variantes, sont-elles deux de ses plus belles œuvres. Ce sont en tout cas deux œuvres de maître. L’œil se perd dans l’infini de cette vaste plaine marécageuse, au travers de laquelle court une petite rivière. Le ciel a une incomparable limpidité. Au premier plan, trois cavaliers arrêtés au bord de la rivière suivent du regard le faucon qui va atteindre sa proie. Un fauconnier, dont le cheval, ayant de l’eau jusqu’à mi-jambe, galope dans la direction du faucon, s’apprête à en lâcher un autre, déjà à demi déchaperonné. Au loin courent d’autres cavaliers. Ce tableau est une œuvre très lumineuse dans un parti-pris absolu de tons clairs. On ne saurait surpasser la transparence de ce sol détrempé. De la Chasse au héron et de la Chasse au faucon, celle-là est supérieure. Fromentin a atteint au même effet avec une sobriété plus grande. De plus, pourquoi Fromentin est-il revenu, dans les Arabes de la Chasse au faucon, à ses premières et coupables amours pour la laque rose ? Dans la Chasse au héron au contraire, les cavaliers du premier plan sont tenus dans une gamme plus sobre, qui ne sollicite pas le regard aux dépens du paysage. Le cheik, qui, monté sur un cheval bai-clair, est drapé de rouge, est d’un ton très franc et très