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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/900

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sont aussi très personnels, mais ils sont personnels dans l’exception, c’est-à-dire dans ces ciels nuageux, ces prairies vertes, ces horizons humides et ces terres détrempées qui ne sont que les aspects exceptionnels de l’Algérie. Les vues d’Egypte au contraire sont personnelles dans l’aspect général du pays : son ciel ardent, ses eaux jaunes, son terrain calciné, sa lumière chaude et intense.

Depuis qu’est venue la coutume de réunir après la mort d’un peintre éminent son œuvre complet à l’École des Beaux-Arts, on a souvent discuté non pas l’intérêt de ces expositions posthumes, mais les chances qu’y court la réputation du maître. Il y a en effet à se demander si, ainsi isolé dans son œuvre, montrant ses beautés et ses défaillances sans avoir, comme en un musée, d’autres tableaux qui, s’ils ne le font peut-être pas valoir, fournissent du moins des points de comparaison, l’artiste grandit ou diminue. Pour les maîtres de génie, comme Delacroix, le doute n’est pas permis : ils grandissent. L’immensité et la variété de leur œuvre inspirent l’étonnement et provoquent l’admiration. La multitude des sujets traités fait voyager l’imagination à travers les siècles et les mondes. En même temps que les qualités picturales proprement dites, composition, dessin, couleur, perspective, modelé, relief, mouvement, on admire ou on critique la façon dont le peintre a compris cette scène, a réalisé ce type, a exprimé ce symbole. Après qu’on a vogué sur les eaux noires du Styx, dans la Barque du Dante, au milieu des ombres livides, on passe la Méditerranée pour trouver le ciel ardent et les chaudes colorations de la Noce juive. On entend chanter les poètes dans les scènes d’Hamlet, de Faust, de Lara, tandis que la voix grave de l’histoire parle dans l’Entrée des croisés à Constantinople, dans la Bataille de Taillebourg, dans le Massacre de Scio. Sardanapale évoque les civilisations disparues du monde oriental, leurs architectures géantes, leur luxe magique, leurs grandeurs et leurs monstruosités. Le Triomphe de Trajan montre l’homme devenu dieu ; la Mise au tombeau. Dieu redevenu homme. Marino Faliero, c’est Venise tout entière, en ses aspects féeriques comme en sa sinistre histoire. Dans les merveilles architectoniques du palais ducal que teintent de rose les lueurs du soleil couchant, s’achève par la bâche du bourreau un des longs drames de cette mystérieuse cité des doges, des espions, des inquisiteurs d’état et des courtisanes. La Liberté aux barricades, seins nus, cheveux au vent, agitant le drapeau tricolore dans la fumée grise de la fusillade, nous ramène aux poignantes émotions des temps contemporains. Une telle exposition est à elle seule un musée. On va d’un tableau à l’autre comme à la découverte ; celui-ci repose de celui-là. La diversité des sujets impose les différences de peinture. Ces deux impressions, qui se renouvellent et se modifient sans cesse,