Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/907

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Manille, on rit encore de cette étrange explication. Dumont-d’Urville n’est malheureusement pas moins fécond en erreurs lorsqu’il parle des Philippines.

Les naissances, les mariages et les funérailles sont célébrés par de grands dîners et beaucoup de musique. Quand une femme indienne est sur le point d’accoucher, au lieu d’appeler près d’elle un médecin européen, son mari fait venir une sorte de sorcière du pays dont tout le talent consiste à mettre en déroute les esprits qui s’opposent à l’entrée de l’enfant dans le monde. C’est d’après son ordre que l’époux de l’accouchée grimpe sur la toiture de sa maison et combat avec un sabre l’Assouan ou le dieu du mal. Si cela ne suffit pas, elle charge de poudre un long tube en bambou, et le fait partir au moment le plus aigu de la crise ; la frayeur soudaine qu’éprouve la malade amène souvent une délivrance heureuse[1]. Dans les villes, les mariages sont fort simples, mais dans certaines provinces ils offrent des coutumes curieuses. Aussitôt que la cérémonie religieuse est terminée, les nouveaux époux se dirigent vers la maison de la mariée, escortés par la foule des invités; en tête marche le garçon d’honneur un cierge à la main, le mari est laissé en dehors du logis, et pour qu’il ne puisse entrer tout de suite chez sa femme, on retire l’échelle qui sert ordinairement d’escalier aux maisons indiennes. L’infortuné est contraint d’escalader les fenêtres ou de s’ouvrir un passage par les toits. Plaignez-le, car ce jour-là peut-être, pour la première fois de sa vie, il porte des souliers, et chacun de ses pas est une souffrance. Après une prière devant les saintes images qui décorent la chambre de réception, les invités se mettent à table. Le repas se compose d’un cochon de lait rôti à la broche, de pimens du Chili et de fruits; pour boisson, du vin de cocotier et de palmier largement versé. Une heure après, les convives, surexcités par l’alcool, chantent à tue-tête et se livrent à des danses grotesques. Les vieillards doivent, en payant d’exemple, dire mille folies. Seuls, les époux sont tristes, car ce jour-là ils ne mangent que du riz et ne boivent que de l’eau. Après l’angelus, au moment où le village s’éclaire, les gens de la noce, porteurs de torches et précédés d’une musique, vont rendre visite aux garçons et aux filles d’honneur, et comme dans chaque maison les libations recommencent, plus d’un joyeux compagnon reste accroché aux barreaux d’une échelle. Ce n’est que le neuvième jour après le mariage que les époux peuvent jouir tranquillement de leurs droits conjugaux. Ce retard ne cause aucun ennui aux fiancés, la plupart ne se mariant que pour obéir à des parens qui ont

  1. Un grand nombre d’enfans meurent dans les deux premières semaines qui suivent leur naissance. D’après un célèbre médecin anglais, le docteur Fullerton, qui a résidé longtemps dans ces contrées, la mort enlève un quart des nouveau-nés.