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ce que coûte le culte, lorsqu’on sait que certaines paroisses donnent par an 40,000 ou 50,000 francs de casuel. Si l’indigène est trop faible pour garder une fortune, par contre le métis, celui qui appartient à la caste dite de Sangley, est remarquable par son avarice et son intelligence merveilleuse des affaires. Ces fins commerçans naissent d’unions contractées entre Chinois et Indiennes. Il y a aussi des métis espagnols qui témoignent du sang européen qu’ils ont dans les veines par une grande activité, par des vertus ou par des vices éclatans. Leur type est 1res beau, et les femmes issues de ces croisemens sont d’une élégance et d’une blancheur de peau sans rivales dans l’extrême Orient. Les métis chinois et indiens en diffèrent entièrement. Ce sont des êtres égoïstes, glacés, sans passion, d’un orgueil insupportable, mais doués d’une entente exceptionnelle des affaires. Presque tous sont riches, car leur avarice est grande. On ne peut se figurer avec quelle dureté, quel mépris, ces froids personnages traitent les indigènes qui sont à leur service. En les maltraitant, ils veulent faire oublier que dans leurs veines coule du sang chinois. Il est rare de voir les récoltes qu’un agriculteur indigène a semées rentrer complètement dans ses granges ; longtemps avant la maturité, elles ont été vendues sur pied à des Asiatiques accapareurs ou à des métis de même origine. Des typhons ou des crues d’eau épouvantables ruinent aussi ces pauvres diables, qui acceptent toutes ces misères avec une résignation orientale.

A côté du désintéressement proverbial de l’Indien, nous devons placer la touchante tendresse qu’il a pour ses enfans. Si l’un d’eux tombe malade, sa famille vendra jusqu’au dernier buffle du troupeau pour acheter les médicamens nécessaires à la guérison. J’ai vu un de ces pères excellens, par un temps horrible, franchir un bras de mer dans une pirogue, et aller chercher à la ville le remède qu’exigeait sans retard la maladie de son petit garçon. Et pourtant, si l’enfant vient à mourir, l’Européen ne peut manquer d’être surpris en voyant avec quelle philosophie l’événement est accepté. Un jour, je rencontrai un indigène que je connaissais, au moment où il portait au cimetière, sur une branche d’arbuste en fleurs, sa petite fille morte. Des amis, une joyeuse musique, le suivaient, et sur ses traits, pas plus que sur ceux des assistans, je ne vis trace de tristesse. Je ne pus m’empêcher de lui en faire la remarque. «Oh! me répondit-il avec une grande sérénité, je ne suis pas à plaindre, car désormais j’ai un petit ange au ciel qui priera Dieu pour moi. »

Les prêtres espagnols ont si bien réussi à convaincre les Indiens que l’âme est immortelle, et qu’après une mort chrétienne elle va au paradis, que pas un fidèle ne meurt sans être persuadé d’une résurrection immédiate et glorieuse. C’est surtout par les criminels