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On peut se figurer l’exaspération des moines en voyant une telle révolution s’opérer sans leur concours et si vigoureusement dirigée contre eux. D’après leur théorie, la politique espagnole exigeait que les Indiens restassent dans l’ignorance la plus absolue, et surtout dans celle du langage castillan. Cette thèse fut publiquement soutenue par un savant dominicain, professeur de l’université monacale de Santo-Tomas, le révérend père Gainza, aujourd’hui évêque, contre un jésuite, le père Cuevas. Celui-ci sortit triomphant de ce tournoi d’un nouveau genre. Les instituteurs furent dès lors divisés en trois catégories : ceux de la première reçurent chaque mois et continuent encore aujourd’hui à recevoir du budget local 80 francs; ceux de la seconde, 100 francs, et ceux de la troisième 125 francs. Chaque élève paie en outre mensuellement à l’instituteur 2 fr. 50 c. Comme par le passé, l’instruction a été déclarée obligatoire. Les curés, les conseillers municipaux et les gouverneurs des provinces sont chargés de veiller à ce que les pères de famille n’éludent pas la loi. Le maître d’école est lui-même surveillé par l’alcade et par une commission locale d’instruction, créée à cet effet dans chaque chef-lieu; mais les occupations du premier de ces fonctionnaires sont trop nombreuses, sa condescendance à l’égard des curés est trop grande encore pour que l’instituteur ne reste pas, comme par le passé, soumis entièrement aux exigences cléricales.

L’histoire de l’enseignement supérieur, comme celle de l’enseignement primaire, n’est que l’aride relation d’une lutte acharnée entre deux ordres religieux, celui des moines et des jésuites. Il est inutile de raconter ici cette rivalité peu édifiante; il suffit de savoir qu’elle donna lieu à de mutuelles calomnies et à des batailles à coups de bâton sur les places publiques de Manille, Lorsqu’en raison de ces dissensions, les pères de famille s’aperçurent très tardivement, il faut le reconnaître, du peu de science que leurs enfans acquéraient, lorsqu’ils eurent constaté que des jeunes gens destinés au barreau ou autres carrières libérales n’avaient aucune notion sérieuse d’histoire, de géographie, des choses pratiques de la vie, ils prirent le parti de les envoyer aux collèges de Mexico, de Calcutta, de Goa et de Pondichéry. De là sortirent, de 1812 à 1823, ces fils du pays, qui furent chargés de représenter aux cortès la colonie espagnole du Pacifique, mission que plusieurs d’entre eux remplirent d’une manière vraiment brillante. Aujourd’hui, c’est en Suisse, en France, en Angleterre, que les jeunes gens riches vont chercher l’instruction, malgré les anathèmes que les jésuites lancent contre les universités d’Europe qu’ils représentent comme des « centres de ténèbres horribles. »

Ce furent définitivement les jésuites qui, en revenant aux Philippines en 1865, changèrent de face l’instruction supérieure et portèrent