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s’efforcèrent d’obtenir une réforme de l’instruction primaire. Sur leurs instances, le gouvernement décréta qu’en raison des riches donations qui étaient faites aux couvens par les fidèles et par le trône, les moines paieraient désormais le traitement fixe des instituteurs. Comme on peut bien le croire, les ordres religieux n’acceptèrent nullement une pareille injonction, et le gouvernement n’insista pas; tout ce que ce dernier obtint, c’est le renvoi des sacristains et la nomination des maîtres d’école, qu’il prit désormais dans la classe des secrétaires des maires ou gobernadorcillos. Ces directorcillos, comme on les nomme, sont des Indiens intelligens chargés d’interpréter en dialecte du pays les ordres de l’autorité, d’y répondre, et de dresser les procès-verbaux de délits et des crimes.

En 1859, lorsque les jésuites furent autorisés à revenir aux Philippines, l’instruction au premier degré subit une sérieuse transformation. De la surveillance directe des moines, elle passa comme par enchantement dans les mains des nouveaux venus. Ces missionnaires habiles ne pouvaient oublier que, pour bien posséder les hommes, il était nécessaire de les diriger dès l’enfance. Afin de ne pas effrayer les libéraux d’Espagne et les ordres monastiques, les jésuites avaient demandé simplement, humblement la permission d’aller s’installer au sud de l’archipel, afin d’y convertir les infidèles qui y sont très nombreux. Leur requête avait été favorablement accueillie, mais au lieu de se rendre à Mindanao, c’est à Manille qu’ils s’établirent. Protégés par le gouverneur général et le conseil municipal, les jésuites oublièrent qu’ils étaient venus pour une autre destination que celle de la capitale. « Pouvaient-ils résister, écrivaient-ils en Espagne, lorsque la municipalité leur offrait un magnifique local pour ouvrir des écoles, quand des centaines de pères de famille les suppliaient de prendre leurs fils? Évidemment non. Cela eût été outrager la Providence qui les avait conduits au milieu d’une population si bien disposée en leur faveur. »

Il faut dire qu’au lieu de mettre entre les mains des élèves les rapsodies monacales, les nouveaux arrivans donnèrent à leurs disciples des abécédaires et des petits livres en usage en Europe. Des professeurs laïques du pays furent même appelés près d’eux pour les aider dans leurs travaux, et quelques mois après plus de deux cents enfans suivaient leurs cours. Invités par les familles à se rendre dans les provinces, les jésuites, trop peu nombreux pour abandonner Manille, imaginèrent de fonder une école normale primaire. Le succès de cette institution fut complet, et aujourd’hui il est peu de maisons d’enseignement dans les grandes villes de l’archipel dont les titulaires n’aient tiré de là leurs diplômes.