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musical. Le malheur veut que la plupart du temps ces rôles disparaissent avec la grande artiste sur le patron de laquelle ils furent créés, et comme ils sont le ressort ouvrier de l’exécution, eux partis, tout se détraque. On ne badine point avec le sublime: ôtez à Fidès son caractère épique, ramenez le type à des proportions vulgaires, et vous avez une bonne femme qui loue des chaises dans une église. La Fidès du moment ne vaut ni plus ni moins que ses devancières; telle était Mme Gueymard, telle est Mlle Bloch, point d’art, de chaleur, d’émotion : une leçon apprise et répétée sans conviction, la routine du théâtre pure et simple. Depuis environ dix ans qu’elle est à l’Opéra, Mlle Bloch n’a jamais progressé. Elle y reste, les contraltos sont rares : sint ut sunt.

Il s’en rencontre pourtant, et le Théâtre-Lyrique en possède un. Le succès de Mme Engalli dans Paul et Virginie ne nous aveugle pas sur ses défauts; là encore il y a une voix, disons mieux, un tissu vocal qui, le travail aidant, pourrait arriver à quelque chose. Les sons graves ont de la force, mais sans ampleur, et déjà commencent à s’érailler par la violence de l’émission; le médium est faible, l’attaque de la note incertaine, l’accent manque. On s’imagine que le grand secret d’imprimer de l’accent à la phrase consiste à pousser vigoureusement la voix en dehors. Cela s’appelle faire la grosse voix et n’a rien de commun avec l’accent, qui, loin d’exiger tant d’efforts, trouve moyen de marquer sa trace dans les pianissimo les plus estompés, les plus nuageux. La voix de Mme Engalli pèche aussi par le timbre, défaut bien regrettable chez un contralto; mais le timbre c’est le don, c’est le charme. On peut être un très grand chanteur et n’avoir qu’une voix d’un timbre ordinaire. Tamberlick n’avait pas ce don et compte cependant parmi les illustres; d’autre part, Masini, qui n’est point un Tamberlick, trouve dans son timbre un moyen de souveraine séduction. Tout ceci n’empêche pas Mme Engalli de chanter délicieusement sa chanson de Paul et Virginie. Même détachée de la partition et de son milieu pittoresque, cette charmante mélodie conserve sa fraîcheur poétique. Je l’entendais l’autre soir succéder à des strophes de Victor Hugo et de Musset; rien de plus harmonieux que ce motif imprégné des parfums de la savane flottant ainsi et gazouillant dans une atmosphère encore toute vibrante du rhythme des beaux vers : chanson d’oiseau dans une nuit de mai. Qu’un ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, homme de goût et c4’esprit, ait chez lui la Comédie et l’Opéra, on ne saurait s’en étonner; mais dans ces sortes de réunions, il n’y a pas seulement ceux qui écoutent, il y a aussi ceux qui viennent pour rendre hommage au maître et à la maîtresse de la maison, et c’est de ce côté qu’il faut maintenant regarder au ministère de l’instruction publique, terrain de conciliation où tous les partis se rencontrent.


F. DE LAGENEVAIS.