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d’abord conclue, si la Porte accepte les conseils de l’Europe et entreprend sérieusement les réformes mentionnées dans le protocole, si elle envoie à Saint-Pétersbourg un délégué spécial pour traiter du désarmement, si des massacres pareils à ceux qui ont ensanglanté la Bulgarie ne se renouvellent pas. La phrase est curieuse et trop évidemment elliptique pour n’être pas calculée, car la diplomatie russe est la plus habile à manier la langue française. Ce qu’il y a de plus clair, c’est que la Russie reprend par sa déclaration tout ce qu’elle semble accorder par le protocole. L’Angleterre, de son côté, tient a bien constater qu’elle n’a donné sa signature que dans l’intérêt de la paix européenne, « que dans le cas où le but qu’on s’est proposé ne serait pas atteint, notamment le désarmement réciproque de la Russie et de la Turquie et la conclusion de la paix entre les deux puissances, le protocole serait considéré comme nul et non avenu. » En d’autres termes, la Russie déclare que, si les conditions qu’elle met en avant dans son interprétation du protocole ne se réalisent pas, elle garde toute liberté, même la liberté de la guerre. L’Angleterre déclare à son tour que, si la paix n’est pas maintenue, le protocole cesse d’avoir sa raison d’être et n’existe plus. Rien n’est plus évident, la diplomatie n’a pas pu se dissimuler que ce qu’elle avait l’air de faire d’une main, elle le défaisait de l’autre ; elle s’est donné la satisfaction d’une tentative inutile.

Qu’en est-il résulté ? À peine le protocole et les annexes qui le complètent ont-ils été mis au jour, l’incohérence a éclaté. Entre la Russie s’armant de la délibération nouvelle de l’Europe, allant de l’avant comme si rien n’était, et l’Angleterre se retranchant dans sa réserve, la Porte a résisté. Elle a visiblement résisté moins au protocole lui-même qu’aux interprétations, aux significations hautaines de la Russie. Atteinte dans ses intérêts d’indépendance comme dans son orgueil, à demi rassurée ou éclairée par la discordance évidente des politiques, elle a pu tout refuser, et ce qu’on a fait pour la paix est peut-être ce qui a le plus servi à précipiter la guerre en fermant la dernière issue de négociation, en laissant Turcs et Russes en présence devant l’Europe attentive, déconcertée et inquiète. Voilà où nous en sommes ! La diplomatie n’a peut-être pas fait une brillante campagne, et ce n’est pas la première fois qu’elle n’aura pas réussi à faire tomber les armes des mains de ceux qui ont envie de s’en servir ; ce n’est pas non plus la première fois qu’elle se sera engagée sans trop savoir où elle allait.

La vérité est que, par le caractère qu’elle a pris depuis six mois surtout, cette question d’Orient est devenue une impossibilité, et qu’au point où en sont arrivées les choses dans ces derniers temps, le protocole du 31 mars ne pouvait plus aboutir, parce qu’on est en dehors de la réalité, parce qu’on s’est accoutumé à traiter de la Turquie sans les Turcs, Assurément, les Turcs sont souvent un étrange embarras, ils don-