Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/945

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fomentées contre sa sûreté, qu’elle est tristement réduite à s’épuiser dans ces armemens qu’on lui reproche et qui ne sont qu’une nécessité de défense, qu’elle n’a point donné quant à elle le moindre prétexte à la Russie de déployer des forces militaires si démesurées sur le Pruth ? Peut-on bien sérieusement s’étonner que, menacée et assaillie de toutes parts, la Porte ne sente pas l’obligation particulière d’envoyer à Pétersbourg un ambassadeur spécial pour se mettre aux pieds du tsar et solliciter humblement la démobilisation de l’armée de Kichenef ?

Chose étrange ! dans toutes ces complications accumulées, au milieu de ces orages soulevés contre son pouvoir, la Turquie a presque toujours pour elle le droit, les traités, la légalité internationale, même la raison politique ; elle se borne à se défendre. Rigoureusement elle est fondée dans ses résistances. Est-ce à dire qu’elle ait été bien inspirée en refusant toute satisfaction à l’Europe, en déclinant ce protocole qui était une dernière chance de paix ? Non, sans doute. Les Turcs peuvent avoir jusqu’à un certain point le droit pour eux ; ils ont contre eux ces excès, ces violences, ces massacres, qui les livrent à l’animadversion du monde civilisé, qui sont une cause perpétuelle de trouble en Europe, et c’est dans leur intérêt bien entendu, par une inspiration de bonne politique, qu’ils auraient dû au moins laisser entre les mains des puissances un dernier moyen de détourner la crise. Ils ne l’ont pas fait, ils ont répondu par cette circulaire qui vient de paraître, où ils témoignent une résolution qui après tout n’est pas sans noblesse : « Ils sentent, disent-ils, qu’ils luttent pour leur existence ! » Et maintenant que va-t-il arriver ? Y a-t-il place encore pour une suprême négociation ? Elle serait possible sans doute s’il n’y avait toujours ce désarmement qui a été le grand écueil. Le secret des événemens n’est plus à Constantinople ni à Londres : il est à Saint-Pétersbourg, où s’agite la redoutable question de la paix et de la guerre, où va éclater d’une heure à l’autre le dernier mot de ces menaçantes complications.

Que les Turcs, par leurs résistances, aient contribué à préparer et à précipiter le dénoûment, nous le voulons bien. La Russie, pour sa part, ne peut s’y méprendre : c’est elle surtout qui a conduit la crise au point extrême où elle est ; c’est par la déclaration dont elle a accompagné le dernier protocole qu’elle a rendu tout impossible ; c’est sur elle que va peser la responsabilité des déchaînemens de la guerre. Les raisons ne lui manquent pas sans doute ; elle est libre de colorer ses résolutions de prétextes plus ou moins sérieux, plus ou moins spécieux. — Elle ne peut pas rester sous le coup d’un échec diplomatique ; après avoir rassemblé une nombreuse et vaillante armée, elle ne peut la rappeler ou la dissoudre sans avoir obtenu une satisfaction suffisante. C’est une affaire d’honneur militaire et d’orgueil national. Soit ; mais cette situation, qui donc l’a créée ? qui donc a obligé la Russie à s’avancer jusqu’à ce point