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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/946

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où elle ne croit plus pouvoir reculer ? Si la Russie a voulu simplement se mettre en mesure de limiter, d’atténuer les crises de l’Orient, il n’y a aucun déshonneur à s’arrêter ; si elle s’est proposé dès le premier jour d’aller jusqu’à la guerre, à quoi servaient ces négociations poursuivies sous toutes les formes ? Ces négociations n’ont pu évidemment laisser à la Russie cette illusion qu’elle serait l’exécutrice des volontés de l’Europe, la mandataire armée de l’intérêt européen. La vérité éclate de toutes parts. L’Angleterre n’a pas caché ses inquiétudes, elle les a consignées dans la déclaration par laquelle elle a voulu, elle aussi, interpréter le protocole, et si dans le cours des négociations elle s’est laissé entraîner parfois au-delà des limites habituelles de sa politique, c’est justement pour retenir la Russie, pour détourner l’appel aux armes, l’explosion militaire. L’Italie elle-même a tenu à déclarer comme l’Angleterre que le protocole ne garderait toute sa valeur que dans le cas où l’entente entre les puissances serait maintenue. Si les autres gouvernemens n’ont pas fait des déclarations identiques, ils avaient absolument la même pensée, ils ne pouvaient avoir l’intention de donner un passeport d’entrée en campagne. Pour une action pacifique, la Russie peut compter sur tout le monde, sur cet accord européen qu’elle invoque ; pour la guerre, elle reste seule, c’est évident : elle ne représente plus ni l’Europe, ni la conférence de Constantinople, ni l’accord des six puissances, ni même l’alliance des trois empereurs, elle n’est que la mandataire de sa propre politique qu’elle va porter au bout de l’épée sur les Balkans ou ailleurs, au risque d’inquiéter tout le monde.

Assurément nous ne doutons pas des sentimens élevés du souverain de la Russie. L’empereur Alexandre était sincère lorsqu’il répétait il y a quelque temps à l’ambassadeur d’Italie, M. Migra : « Pas d’annexions, pas de conquêtes ! » Ce qu’il désire, assure-t-il, ce qu’il croit avoir le droit d’obtenir, u c’est que l’on mette fin à la condition intolérable des chrétiens des provinces turques, que les bienfaits de la civilisation et d’une administration équitable soient assurés aux populations qui ont en commun, avec les chrétiens du reste de l’Europe, le lien des croyances religieuses, et qu’ainsi l’on fasse disparaître une cause permanente de troubles en Orient aussi bien que d’inquiétudes et de périls en Europe… » C’est un beau programme, sur lequel il n’y a pas, que nous sachions, de dissidence ; mais comment ce programme sera-t-il réalisé ? Sera-ce par la guerre, par les occupations militaires ? Est-ce qu’on a jamais vu la réforme d’un pays s’accomplir par des procédés de ce genre, par autorité de justice étrangère ? Et puis enfin le danger de ces entreprises est toujours dans ce qu’elles ont d’indéfini, d’arbitrairement illimité, et l’empereur Alexandre se flattait peut-être d’une dernière illusion lorsque dans sa conversation avec M. Nigra il disait : « Sur