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cour. Il a poursuivi le comte d’Arnira avec acharnement, jusqu’au-delà des limites de la persécution permise, jusqu’à produire une réaction de sympathie en faveur de l’ancien ambassadeur à Paris. Tout récemment, M. de Bismarck est entré en lutte avec un autre homme, le chef de l’amirauté, le général Stosch, qui jouit d’une sérieuse estime pour les soins qu’il a donnés à la création de la marine allemande. Le chancelier, dans un moment d’irritation, a pris à partie le général Stosch publiquement, en plein parlement ; mais cette fois il avait affaire à un homme qui a lui-même une rare vigueur de caractère et qui a de plus l’avantage de posséder toute la faveur de l’empereur, du prince impérial. Le chancelier a dû céder, il a eu l’amertume de sentir une borne à sa volonté. Peut-être aussi les dernières élections lui ont-elles révélé une situation générale, parlementaire, qui ne laisse pas d’être difficile, où ne se retrouve plus le même empressement à lui obéir. Par sa politique religieuse, par ses procédés, par ses habitudes dictatoriales, il s’est fait des adversaires dont l’hostilité n’est pas de nature à ébranler sa position ni à obscurcir sa popularité, mais qui s’accroissent en nombre et qui peuvent lui créer des embarras, le contraindre à des luttes pénibles. N’y a-t-il pas enfin d’autres causes moins connues, tenant à la crise du moment, à l’état diplomatique de l’Europe, à des combinaisons dont le chancelier a seul le secret ? C’est possible, tout est possible.

Toujours est-il qu’on a d’abord parlé de la retraite du premier ministre allemand, puis la retraite est devenue un simple congé de quelques mois, pendant lequel M. de Bismarck garde son rang officiel, sa position, le contre-seing de chancelier, et laisse tout au plus ses fonctions les plus actives à quelques lieutenans, M. de Camphausen, M. de Bulow. L’imbroglio ministériel de Berlin a fini à la satisfaction de tout le monde. Ce qu’il y a de plus étrange, c’est qu’au premier instant les journaux allemands, ayant sans doute la vue un peu troublée, se sont figuré que la retraite ou le congé de M. de Bismarck excitait des mouvemens particuliers d’opinion en France. Les journaux allemands se sont trompés. L’opinion française ne s’est pour le moment ni réjouie, ni émue des résolutions du chancelier de Berlin. Elle a certes le devoir de s’intéresser à un aussi éminent personnage, surtout pour être toujours fixé sur ce qu’il fait, sur ce qu’il peut préparer, même sur les paroles qu’il lai se échapper quelquefois, probablement pour qu’elles soient répétées. Il en est de la fausse retraite de M. de Bismarck comme de la crise d’Orient. La France d’aujourd’hui n’a d’autre souci que de s’instruire à ce spectacle des affaires contemporaines et de tâcher d’éviter les fautes qu’on lui a si souvent reprochées. Elle les a payées assez cher pour avoir le droit d’en faire son profit.

Le sentiment intime de la France est là, et ce serait une étrange confusion de prendre pour l’opinion du pays le bruit des partis ex-