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les épreuves orales ou écrites et n’avoir qu’une médiocre aptitude diplomatique. Un homme peut être hors d’état de passer par un concours et être un diplomate de premier ordre. M. de Bismarck en citait, il y a quelque temps, un exemple en parlant d’un général qu’il avait fait ambassadeur à Saint-Pétersbourg. Les examens ne donnent ni le tact, ni la finesse d’observation, ni l’art de traiter avec les hommes, ni l’usage du monde dont un diplomate a besoin sur ces divers théâtres de la société européenne où il est appelé à servir son pays. Des examens, tant qu’on voudra, pourvu qu’on ne les étende pas démesurément, et qu’on ne mette pas tout dans une épreuve écrite ou orale. En réalité, la question est plus compliquée qu’on ne le croit, et ceux qui se plaisent à tracer de si vastes programmes seraient souvent assez embarrassés pour subir eux-mêmes les épreuves qu’ils veulent imposer aux autres. Ils n’ont peut-être pas une compétence bien avérée pour entreprendre la réforme de notre diplomatie, pour fixer les conditions de la carrière.

Ce qu’il y a d’assez curieux en effet, c’est que dans cette commission nommée par M. le duc Decazes pour la réorganisation des services diplomatiques, un des membres les plus difficiles, les plus sévères, est M. Antonin Proust, un jeune député républicain qui a la spécialité des affaires étrangères ; c’est le diplomate du parti, qui s’occupe des questions extérieures, et qui veut que la république soit bien représentée. L’ambition est certes des plus légitimes, et M. Antonin Proust, qui passe pour un esprit distingué, est homme à ne pas rester en chemin. Il a besoin seulement en vérité d’acquérir une certaine expérience des affaires diplomatiques. Ses connaissances risqueraient peut-être de se trouver en défaut dans un examen, au moins si l’on en juge par un livre qu’il a récemment publié sur M. de Bismarck et sa correspondance, S’il n’y avait que les lettres du prince chancelier, tout serait pour le mieux. Malheureusement M. Antonin Proust a cru devoir ajouter un commentaire à cette correspondance d’un accent si original, et dans ce commentaire il traite vraiment avec un peu de légèreté les événemens les plus connus de l’histoire contemporaine. M. Antonin Proust ne se borne pas seulement à dénaturer quelquefois les noms des personnages étrangers, il est un peu brouillé avec les dates. Il fait remonter la guerre d’Orient à 1851 ; il place à la même époque une mission du comte Orlof à Vienne, et une interpellation du comte Schwerin sur les relations de la Prusse avec la « coalition anglo-française. » Il conduit M. de Nesselrode au congrès de Paris, où il n’a jamais paru. Ces méprises pourraient passer pour de simples inadvertances s’il n’y avait dans ce livre une explication de la guerre de Crimée, plus singulière encore que tout le reste. Sait-on le secret de cette guerre ? C’est bien simple, au dire de l’auteur. « Le tsar avait offert au cabinet anglais de s’attribuer le protectorat de la Moldo-Valachie, de la Bulgarie et de la Serbie, en lui laissant