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met à leur tête a sa beauté : est-elle cependant beaucoup plus qu’une chute de rideau bien trouvée? Ce qui est singulier, c’est que malgré cette concision la pièce est d’une longueur fort honnête, et qui même excède celle des œuvres dramatiques les plus remplies de péripéties; et cependant, après avoir passé quatre heures pleines à l’écouter, le spectateur est presque amené à conclure qu’il aurait fallu au poète une heure et demie de plus pour que son drame fût développé dans toutes les proportions voulues. Cinq heures de spectacle, c’est presque le double de ce qu’ont jamais réclamé les plus grands maîtres de la scène pour faire passer leur public par toutes les émotions de la pitié et de la terreur. Voilà la véritable concision dramatique, celle qui consiste à n’employer les paroles que pour amener l’action, et, par cette économie bien entendue, n’est jamais à court de temps pour dérouler les scènes qui réclament ampleur. Il n’est que juste d’ajouter cependant que nos critiques ne portent que sur les trois premiers actes, et que les deux derniers, mieux lancés, d’une allure plus dramatique, et tout pleins d’un mouvement et d’un feu d’action qui sont d’un bon augure pour l’avenir du jeune poète, leur échappent presque entièrement.

Autre défaut : les Cosaques de M. Déroulède sont de fort nobles personnages sans doute, mais vraiment ils pourraient être de tout autre pays que de celui du rusé Bogdan Chmielniçki et du féroce Stenko Razine dont M. Déroulède connaît l’histoire. Ils pensent et parlent comme des héros de Corneille; ils n’y étaient vraiment pas obligés, quoique le modèle soit excellent. Les grands sentimens sont de tous les pays, cela est vrai, mais leurs formes varient sensiblement selon les races et les degrés de civilisation, et M. Déroulède n’a pas à notre avis tenu assez de compte de ces différences. J’imagine qu’avant de se résigner à jouer au Régulus, au Caton et au Brutus, des Cosaques du XVIIe siècle auraient d’abord commencé par chercher s’il n’y aurait pas moyen de combiner les intérêts de leur patriotisme avec le salut de leurs proches, que le vieux Froll Gherasz se serait singulièrement ingénié pour trouver un stratagème qui lui permît de manquer avec impunité à la parole donnée, qu’il aurait agi de manière à retarder l’insurrection jusqu’à ce qu’il eût retiré sa fille des griffes du roi de Pologne, et que la Marucha elle-même n’aurait vu aucun mal à ce que l’amoureux Stenko essayât de profiter des facilités que lui donnaient ses intelligences avec les gardes cosaques du roi pour fuir en compagnie de l’intéressante Mickla. Il est probable que dans leurs entrevues et leurs conciliabules, ces personnages, au lieu de perdre leur temps en longs discours sentencieux, se seraient de préférence communiqué tous les expédiens de ruse et tous les stratagèmes de guerre que des cerveaux de demi-sauvages sont capables d’inventer. Je ne puis m’empêcher de regretter qu’on ne rencontre pas quelque chose de cette sauvagerie et de cette ruse chez les Cosaques de M. Déroulède, cela eût fait diversion à l’uniformité de leurs beaux sentimens,