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pathétique, on pourrait même dire qu’il y en a trop. L’Hetman est donc une pièce bien conçue et bien construite algébriquement, si nous osons nous exprimer ainsi, la donnée en est bonne, les contrastes bien établis, les situations fortes; pourquoi faut-il cependant que nous soyons obligé de dire au poète que ses intentions ont été plus intelligentes que la réalisation n’en a été puissante, et que son plan, dressé selon toutes les règles classiques de l’architecture dramatique, vaut mieux que son édifice !

En somme, l’Hetman compose un spectacle noble assurément, mais d’une froideur sensible : l’exécution a trahi l’ambition de l’auteur, et plus d’une cause a contribué à ce résultat. En première ligne peut-être faut-il compter une certaine témérité du jeune poète, qui, pouvant aider son inexpérience des utiles conseils qu’il avait si près de lui, a préféré s’en passer, ne voulant devoir qu’à lui seul la conquête des voies et moyens par lesquels on triomphe au théâtre. Il est très beau de ne rien devoir qu’à ses forces, mais alors il serait bon de s’en être absolument assuré avant d’aborder le théâtre, qui exige impérieusement le succès. L’auteur dramatique qui voudrait faire l’apprentissage de son métier sur les planches mêmes risquerait fort de ne le faire qu’au prix de chutes répétées. Si M. Déroulède eût pris conseil tout près de lui, on lui aurait probablement fait remarquer qu’il ne suffit pas de trouver des situations dramatiques pour produire une bonne pièce, et que ces situations ne sont pas plus émouvantes qu’un argument de scénario jeté sur le papier, si elles ne sont pas pathétiquement développées. Nous touchons ici au défaut capital de l’Hetman. L’auteur s’est contenté d’indiquer les situations, et en a abrégé autant qu’il a pu le développement, pensant, — si nous en croyons les confidences qui nous sont faites, — qu’elles gagneraient par cette concision en puissance dramatique, et il ne s’est pas aperçu que par là il chargeait l’imagination du public de le suppléer et de composer la scène dont il lui présentait le sommaire ; mais le public, qui vient au théâtre pour faire acte de spectateur et non pas d’auteur, n’a d’imagination que celle que le poète lui communique par l’émotion, et il n’a d’émotion que par ce qu’on lui fait entendre et non par ce qu’on lui tait. A aucun moment la lutte n’est pathétique, non par la faute de la situation, mais parce que l’auteur, peut-être toujours trop préoccupé de faire pencher la balance du côté du patriotisme, coupe court au combat dès que le mot d’honneur ou de devoir est prononcé. L’Ukraine fait appel au dévoûment du jeune Stenko, amoureux de la fille du vieil hetman Froll Gherasz ; que voyons-nous dans la fuite du jeune patriote, sinon ce qu’on appelle en langage de coulisses la sortie d’un personnage ? Froll Gherasz, envoyé comme pacificateur auprès des Cosaques, se résout spontanément à manquer à la parole don-née au roi de Pologne, lorsqu’il s’aperçoit que l’insurrection n’a besoin que d’un chef pour réussir ; la scène où il annonce aux Cosaques qu’il se