Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/961

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des lagunes aujourd’hui dangereuses et insalubres, en a exposé ici même[1] les données telles qu’il était alors possible de les présenter, c’est-à-dire en suppléant parfois par d’ingénieuses inductions à l’absence de renseignemens positifs. Il a démontré dès lors, par des raisons topographiques et géologiques aussi bien que par le témoignage concordant des auteurs anciens et des traditions orales, que le bassin des chotts communiquait autrefois avec la Méditerranée et formait un golfe intérieur connu sous le nom de « grande baie de Triton, » — que ce golfe s’est desséché vers le commencement de l’ère chrétienne, à la suite de la formation d’un isthme qui l’a séparé de la mer, — enfin qu’il suffirait de percer les dunes du seuil de Gabès pour inonder de nouveau les immenses plaines, couvertes d’efflorescences salines, qui forment les chotts, et pour créer une mer intérieure qui aurait près de 300 kilomètres de longueur sur une largeur moyenne de 60 kilomètres et une profondeur moyenne de 24 mètres.

Un nivellement géométrique (nivellement fait de proche en proche), exécuté en 1874 et 1875 dans les chotts algériens, sous les auspices du ministre de la guerre et du gouverneur-général de l’Algérie, a confirmé ces prévisions. Pour être définitivement fixé sur la valeur pratique du projet, qui avait soulevé d’ardentes discussions, il restait à poursuivre es études sur le territoire tunisien et à relier entre elles toutes ces opérations isolées. Cette dernière partie du travail a fait l’objet d’une mission dont M. Roudaire a été chargé par M. le ministre de l’instruction publique, et il vient d’en exposer les résultats dans un intéressant rapport que nous avons sous les yeux. M. Roudaire y répond victorieusement à toutes les objections qui lui ont été faites de divers côtés; il ne peut rester désormais aucun doute sur l’exactitude des faits qui forment le point de départ du projet.

L’objection la plus sérieuse avait été l’existence de roches dures dans le seuil de Gabès, qui eussent rendu le percement de cet isthme singulièrement difficile et coûteux. Or M. Roudaire a constaté que, si on rencontre des bancs de grès et de calcaire sur plusieurs points du littoral, il n’y en a aucune trace dans la dépression la plus basse, qui représente l’ancienne communication du golfe avec la mer. Seulement cette dépression, qui forme le prolongement de l’axe longitudinale du bassin des chotts, c’est non pas l’Oued-Akarit, comme l’avait d’abord admis M. Roudaire sur la foi de cartes inexactes, dont les indications semblaient corroborées par les relations de certains voyageurs, mais bien l’Oued-Melah. Sous ce nom unique, les Arabes désignent deux cours d’eau qui prennent naissance, l’un à l’est et l’autre à l’ouest du point culminant de la dépression, et coulent en sens inverse, le premier vers la mer, le second vers le chott El-Djerid; pour eux, ces deux rivières

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1874.