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ont une origine commune : elles représentent les derniers vestiges du détroit qui reliait la Méditerranée à la mer intérieure dont les chotts occupent aujourd’hui le lit desséché.

L’existence ancienne de cette mer ne fait pas de doute pour les habitans de la région. Les traditions locales recueillies par M. Ch. Tissot en font mention dans les termes les plus précis. On parle même de navires trouvés dans les sables à Chattân-ech-Cheursa, où la légende place l’ancien port de Nefta. La description qu’un cadi faisait d’un de ces navires, déterré vers la fin du siècle dernier, ne pouvait, dit M. Tissot, s’appliquer qu’à une galère antique. Deux vieillards vivaient encore qui, dans leur jeunesse, avaient assisté à cette exhumation ; ils disaient que les débris du navire avaient été mis en pièces pour faire du bois à brûler. De vieilles chroniques conservées dans la grande mosquée de Nefta rapportent également que la mer baignait jadis les remparts de la ville de Zaafran, qui n’est plus aujourd’hui qu’une oasis du désert ; elles ajoutent que « la mer s’est retirée, et qu’il est resté une vaste surface couverte de sel. » Bref, depuis que l’attention est attirée sur ce sujet, les témoignages surgissent, et les preuves se multiplient chaque jour.

Le seul aspect du chott El-Djerid révèle d’ailleurs une ancienne lagune qui a été coupée du golfe de Gabès par un isthme de formation récente, dû peut-être à un soulèvement. Le chott El-Djerid, dont le rivage est séparé de celui du chott Er-Rharsa par un seuil d’une largeur de 10 kilomètres, occupe une surface d’environ 5,000 kilomètres carrés ; il renfermé un véritable lac souterrain dont les eaux dorment sous une croûte plus ou moins résistante, composée de matières salines et terreuses. Le fond de ce lac étrange, qui a englouti bien des voyageurs imprudens, se trouve à 20 ou 30 mètres au moins au-dessous du niveau de la mer. La croûte qui le recouvre n’est pas absolument plane, elle présente des ondulations assez accentuées. Près du seuil de Gabès, M. Roudaire a trouvé une altitude de 31 mètres ; mais le niveau de la surface s’abaisse graduellement jusqu’à zéro pour se relever jusqu’à 17 mètres en face du seuil de Kriz, qui sépare le chott El-Djerid du chott Rharsa. Par intervalles, la croûte supérieure se redresse comme si elle était soutenue par des cloisons souterraines plus compactes ; c’est sur ces crêtes que sont tracées les routes des caravanes, dont il est très dangereux de s’écarter. Ces gués deviennent eux-mêmes périlleux dans la saison des pluies, lorsque les eaux découvrent la croûte saline, souvent fort mince, et en diminuent encore l’épaisseur. Plus d’une fois bêtes et gens ont disparu dans ces abîmes. Des crevasses qui s’ouvrent de distance en distance laissent voir l’eau verte de la nappe souterraine.

Il est clair qu’il faudra tenir compte de cette disposition particulière du chott El-Djerid lorsqu’il s’agira d’amener la mer dans le bassin des chotts. M. Roudaire pense que, si l’on creusait une tranchée dans le seuil de Kriz, les eaux du lac s’écouleraient dans le chott Rharsa, dont