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aux anciens ministres de Charles X de se faire illusion sur l’issue de la procédure commencée contre eux : elle devait aboutir à une mise en accusation. Dès le 10 septembre, ils en avaient tous au même degré la conviction et s’occupèrent de se choisir des défenseurs, ayant décidé qu’il ne convenait pas à leur intérêt que la défense fût commune.

Après avoir pensé tour à tour à M. Hennequin, à M. Odilon Barrot, à M. Berryer, après avoir consulté sa famille et ses amis, le prince de Polignac manifesta l’intention de confier sa cause à M. Lainé. Mais l’ancien président de la chambre des députés, devenu pair de France, ne possédait plus ni la jeunesse, ni la vigueur, ni la confiance en soi, indispensable à l’avocat auquel incombe la tâche de disputer au bourreau une tête désignée par la passion populaire. Il estimait qu’il fallait à M. de Polignac un défenseur dont le nom le couvrirait assez « pour le rendre moins odieux à la France et inspirer la clémence à ses juges. » Il lui conseilla lui-même le choix de M. de Martignac; aucun autre ne pouvait être ni plus judicieux, ni plus habile. Des dramatiques événemens qui avaient précédé la révolution, le nom de M. de Martignac sortait pur et respecté. Déplorant les malheurs qu’avait prévus sa sagesse et contre lesquels il était resté impuissant, M. de Martignac siégeait maintenant dans la chambre des députés, y représentant ces idées modérées dont l’application soutenue aurait pu sauver le trône de Charles X, et à la défaite desquelles survivaient en lui l’attachement et la confiance qu’elles n’avaient cessé de lui inspirer. Lorsqu’il connut le conseil donné à M. de Polignac par M. Lainé, quand ce dernier lui eut écrit pour lui recommander la cause de l’ancien ministre, et quand les prières d’une famille éplorée furent venues se joindre à cette recommandation d’un homme qu’il vénérait, il n’osa décliner cette haute et périlleuse mission. effrayé d’abord par l’étendue de la responsabilité, il se laissa bientôt prendre par la générosité naturelle de son âme. La grandeur de la faute l’avait indigné ; la grandeur de l’infortune le toucha. L’homme qui lui faisait appel et lui confiait la défense de sa vie était son ancien adversaire; c’est surtout pour ce motif qu’il accepta cette défense. Il n’y mit qu’une condition, c’est que son intervention serait purement gratuite, et comme, au nom de l’ancien président du conseil, le duc de Guiche mettait à sa disposition une somme de 100,000 francs et une plaque en diamans, — M. de Martignac était grand-officier de la Légion d’honneur, — il refusa en disant : — C’est pour l’honneur du prince de Polignac et pour mon propre honneur que je le défendrai. — Lorsque pour la première fois il se présenta à Vincennes afin de conférer avec son client, ce dernier, sans pouvoir prononcer une parole, prit ses mains avec effusion et, l’attirant contre lui, il l’embrassa.