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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/103

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Le comte de Peyronnet avait tout d’abord songé à son ami Hennequin, une des gloires du barreau français, mis soudainement en lumière douze ans auparavant par le procès Fiévée, et dont la réputation depuis cette époque grandissait sans cesse avec le talent. Il lui écrivit : « Mon cher Hennequin, mes enfans ont dû vous dire combien je suis impatient de vous voir; ce n’est plus d’intérêts généraux, comme autrefois, que j’aurai à vous entretenir, mais des miens, mais de mon procès. L’ami vous recherchait dans ce temps ! Aujourd’hui que j’ai un titre de plus, je vous appelle comme accusé; venez donc, s’il vous plaît, dès qu’on voudra. » M. Hennequin accourut et se chargea de la difficile défense de l’ancien ministre de l’intérieur.

Il y avait alors à Lyon un jeune avocat dont les talens s’étaient fait jour jusqu’à Paris, et à qui l’avenir réservait une place éclatante dans notre histoire parlementaire; il se nommait Paul Sauzet, En prenant, au mois d’août 1829, possession du ministère de la justice, M. de Courvoisier, qui connaissait et appréciait ses mérites, s’était empressé de lui offrir un poste au parquet de la Seine et les fonctions de maître des requêtes au conseil d’état. M. Sauzet avait refusé ces offres brillantes, afin de ne pas abandonner sa ville natale et le barreau lyonnais, où il comptait, à trente ans, autant d’admirateurs que d’amis. On vantait justement son éloquence, la sonorité de sa voix, la noblesse de son geste, tout ce qui faisait dire de lui qu’il possédait, avec la distinction des traits, les qualités maîtresses de l’orateur. Procureur-général à Lyon, M. de Chantelauze avait souvent entendu le jeune avocat et subi le charme de sa parole. Sous le coup d’une accusation capitale, c’est à lui qu’il songea. « L’illustre accusé reporta ses regards sur la ville qu’il avait tant aimée, a écrit M. Sauzet, sur le barreau qu’il avait patronné tant de fois. Des souvenirs de mutuelle estime lui revinrent en mémoire. Il savait qu’il pouvait compter sur la sincérité de mon dévoûment et, malgré ma jeunesse, il voulut bien s’en exagérer la puissance. Il fit appel à mes efforts, j’étais fier de les lui consacrer: une telle cause eût prêté des ailes à toutes les faiblesses, et quelque retentissement qu’aient pu soulever depuis autour de mon nom les faveurs ou les rigueurs de la fortune, l’honneur de l’avoir révélé à cette mémorable journée comptera toujours comme le plus grand souvenir de ma vie. »

M. de Guernon-Ranville, loin de suivre l’exemple de ses collègues, avait d’abord manifesté l’intention de ne pas se défendre : en premier lieu, parce qu’il niait la compétence des chambres et l’indépendance des juges; en second lieu, parce qu’il ne croyait pas à un acquittement et était convaincu qu’assiégée par les exigences