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de la population ameutée, peut-être même par celles du nouveau gouvernement, la cour des pairs, ayant à choisir entre son existence et une condamnation, n’hésiterait pas et condamnerait. C’était mal reconnaître le courage de la cour des pairs ; c’était mal reconnaître surtout les préoccupations et les angoisses que la volonté de sauver la vie aux anciens ministres de Charles X causait en ce moment même au roi Louis-Philippe et à son gouvernement. La famille de M. de Guernon-Ranville jugeait mieux que lui ces généreux efforts. Elle lui imposa un défenseur qu’elle avait elle-même choisi; c’était M. Crémieux. Le futur membre du gouvernement provisoire jouissait, dès cette époque, d’une réputation légitime qu’expliquaient l’éclat de sa carrière, sa parole facile, mordante et spirituelle. Il n’appartenait pas encore à la politique, il était entièrement au barreau. Il se dévoua passionnément à la cause de M. de Guernon-Ranville, qui accepta son concours en ces termes : — Il ne doit pas sortir de votre bouche un mot irrespectueux pour le roi Charles X ou désobligeant pour mes collègues. Si de mon opposition aux ordonnances vous croyez pouvoir tirer quelques argumens en ma faveur, j’y mets la condition expresse que ce sera sans qu’il en résulte la moindre insinuation défavorable à mes cosignataires. — Il suffit des détails qu’on vient de lire pour faire comprendre quels nobles sentimens animaient, à la veille même du procès, les accusés et leurs défenseurs. Ce fut le mérite des uns et des autres de demeurer jusqu’au bout fidèles à ces sentimens de désintéressement et de loyauté, et, s’il y eut entre eux quelques dissentimens, de les taire pour ne pas compromettre l’honneur de leur cause.

Cependant la commission de la chambre des députés avait achevé son instruction préparatoire. Le 23 septembre, M. Bérenger monta en son nom à la tribune, et donna lecture du rapport qui résumait ses travaux et ses opinions sur l’objet soumis à ses délibérations. Le rapport de M. Bérenger, d’un style étudié, précieux et solennel, était un acte véritable d’accusation. Il traçait à grands traits l’histoire du ministère de M. de Polignac et affirmait, dès les premières lignes, que les ordonnances du 25 juillet avaient été le complément d’un plan que la couronne méditait depuis plusieurs années. Puis il établissait la culpabilité de chacun des ministres. « Le prince de Polignac, dit-il, paraît être le confident le plus intime des projets de Charles X. Dans l’opinion de la France, il représente à lui seul toute la faction contre-révolutionnaire, et chaque fois que cette faction avait menacé de saisir le pouvoir, c’était lui, toujours lui, qu’elle offrait aux espérances des ennemis de l’ordre et des lois. » Après avoir rappelé que M. de Polignac resta sourd aux objurgations de M. de Guernon-Ranville, adversaire déclaré de la politique à laquelle il eut plus tard la faiblesse de concourir, le rapporteur remettait devant la