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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/114

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pandanus au feuillage ligneux entre-choquaient leurs branches avec un bruit étrange, et leurs fruits énormes exhalaient un parfum pénétrant. Des massifs d’orangers et de citronniers en fleurs embaumaient l’air. Les haos, aux fleurs blanches le matin, jaunes à midi, rouges le soir, mortes le lendemain et remplacées par des milliers d’autres, se mêlaient aux pervenches et aux aristoloches en une véritable orgie de couleurs. Le chemin que nous suivions serpentait en gracieux méandres. J’avançais lentement pour ne rien perdre du paysage dont je savourais les mille beautés. Des bruits légers d’oiseaux effarouchés, jetant dans l’air une note timide mêlée au bruissement de leurs ailes, rompaient seuls le silence de ces grands bois frais et beaux comme au lendemain de la création.

Le jour avançait quand une clairière s’ouvrit devant nous. Le sol piétiné par des pas d’animaux, de primitives barrières formées de troncs d’arbres abattus, indiquaient l’approche d’une habitation. Un temps de galop nous amena à la porte de la ferme d’Éva.

Cette ferme était située en pleine forêt, entourée d’une ceinture de verdure qui semblait l’étreindre doucement. Les derniers rayons du soleil éclairaient un fouillis de constructions groupées autour de l’habitation principale, qui offrait un aspect étrange. C’était une maison vaste et carrée, en bois de koa, dont la couleur rappelle celle de l’acajou avec des tons plus orangés. Le bois, lisse et comme verni à l’extérieur, la toiture, également en bois et de la même couleur, se découpaient en masse sombre sur le bleu pâle du ciel. Une large vérandah occupait toute la façade; elle était séparée de la route par un parterre de fleurs et un mur de pierres construit sans ciment et à hauteur d’appui. De distance en distance, le long de ce mur et du côté extérieur, se dressaient des pieux en bois de koa également surmontés d’un anneau de fer. Une vingtaine de chevaux tout sellés et attachés par un lasso attendaient avec impatience que les Kanaques affairés autour d’eux les eussent débarrassés de leurs lourdes selles mexicaines et lâchés en liberté dans le corral où leurs compagnons se disputaient déjà autour de gros tas d’herbe verte.

Notre arrivée avait été signalée; nous étions attendus, et le maître du logis vint au-devant de moi me souhaiter la bienvenue. C’était un grand vieillard, voûté par l’âge, marchant péniblement; mais le regard était resté vif, les traits du visage réguliers, le front haut et couronné de cheveux blancs. Il s’avança lentement, appuyé sur le bras de son fils Frank, beau jeune homme à la taille élancée, au regard un peu mélancolique, mais plein d’une mâle énergie. Tous deux m’accueillirent affectueusement et me conduisirent à l’appartement qui m’était réservé.

Mon hôte était un des plus riches propriétaires de l’archipel, et