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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/123

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— Je crois le savoir et je n’y suis pas arrivé sans peine. On a attribué l’honneur de cette découverte, bien à tort, à Cook d’abord, puis à Anson. Les recherches que j’ai fait faire aux îles Philippines constatent que c’est don Juan Gaetano, navigateur espagnol, qui aborda le premier dans ces îles en 1555 et les baptisa du nom de li Giardini, les jardins.

— Et moi, je n’en crois rien ; le premier Européen qui a mis le pied dans l’archipel n’est pas un Espagnol, c’est une femme, une Anglaise, Kiana.

— Ce n’est pas possible ! m’écriai-je,

— Possible ou non, cela est pourtant.

— Mais quelle est la preuve de cette assertion ?

— La preuve,… c’est le chant de Kiana,

— Vous le savez ?

— Oui.

— Je vous en prie, dites-nous ce chant de Kiana ! Si je ne me trompe, c’est un nom anglais, le vôtre, Jane, traduit en kanaque.

— Vous avez raison, mais il m’est difficile de satisfaire entièrement votre curiosité, parce que, seul de nos chants indigènes, celui de Kiana n’est pas complet, il manque la fin.

— Et vous ne la savez pas ?

— Non.

— Ni personne autre ?

— Si, il y a quelqu’un qui la sait, c’est Kimo, mon majordome.

— Eh bien, nous la demanderons à Kimo.

-— Il ne la dira pas.

— Pourquoi ?

— Je n’en sais rien. Je la lui ai demandée souvent, il a toujours évité de me répondre.

— Dites-nous ce que vous en savez, peut-être pourrons-nous deviner ce qui manque et trouver le dénoûment.

Elle secoua la tête, mais céda enfin à mes sollicitations, et nous raconta ce qu’on va lire. Les événemens qui suivirent ont à jamais gravé ce chant dans ma mémoire :

« Plusieurs générations avant la naissance de Lono, l’un des plus anciens chefs de Havaï, un Kanaque, Ili, aperçut un matin sur la plage de Kaïlua des débris rejetés par les flots. Il alla trouver le chef, Vakea, et lui fit part de ce qu’il avait vu. Sur son ordre, on suivit la plage, recueillant ces épaves, et dans une anfractuosité des rochers on découvrit le corps d’une femme étrangère. Sa peau était blanche, ses cheveux blonds. Elle paraissait morte, mais elle n’était qu’évanouie. Transportée dans une hutte, elle revint à elle et regarda d’un œil effrayé ceux qui l’entouraient. On lui parla, mais elle ne comprenait pas. Les indigènes lui offrirent du lait de coco, qu’elle but,