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— Oui.

— Et que dit Kimo?

— Il croit qu’il est sage de se hâter et de gagner le volcan; suivant lui, c’est encore là que nous serons le plus à l’abri.

— Il a peut-être raison ; en tout cas, nous ne saurions mieux faire que de nous en fier à son expérience et à la vôtre.

Kimo fit un signe aux Kanaques qui se tenaient à distance, attendant le résultat de notre entretien. Cet ordre muet fut immédiatement compris : on ramena les chevaux, on pressa les préparatifs de notre frugal déjeuner. Jane, prévenue, vint nous rejoindre, étonnée de la hâte avec laquelle nous levions le camp. Quelques mots la mirent au courant de nos préoccupations : elle n’en parut pas alarmée; maintes fois déjà elle avait assisté à ces phénomènes volcaniques si fréquens à Havaï. Frank n’insista pas sur les observations faites par Kimo, et elle crut que nous étions désireux de gagner promptement Kilauéa pour assister à une éruption probable.

Nous nous mîmes en marche et franchîmes rapidement la plaine à l’entrée de laquelle nous avions campé. Trente milles nous séparaient encore du cratère. Le volcan de Kilauéa est entouré d’épaisses forêts, à travers lesquelles il est difficile de se frayer un passage. Sous l’ombre de ces grands arbres, l’humidité du sol et la chaleur de la température entretiennent une végétation parasite d’arbustes et de lianes qui s’enlacent en un inextricable fouillis et arrêtent à chaque pas la marche du voyageur. Kimo avait prévu ces difficultés; il avait envoyé nos Kanaques en avant. Armés de leurs hachettes, ils taillèrent un sentier à peu près praticable qui nous permit de rejoindre l’unique route qui relie le volcan au port de Hilo, Il nous fallut cependant mettre pied à terre et faire conduire nos chevaux par la bride. Le sol, jonché de branches d’arbre, rendait la marche incertaine et fatigante. Frank ne quittait pas Jane; il l’aidait à franchir les mauvais pas ; elle riait de sa sollicitude.

— Vous ne vous souvenez plus, Frank, que j’étais et suis encore une vraie fille des forêts. Mon pied ne glisse pas plus que le vôtre. Vous me prenez pour quelqu’une de ces ladies étrangères qui viennent de temps à autre visiter le volcan et se persuadent avoir couru d’inénarrables dangers.

— Et vous, avez-vous oublié qu’une fois, à Waipïo, je dus vous prendre dans mes bras pour traverser le torrent ?

— Je ne vous l’avais pas demandé, dit-elle en rougissant.

— Non, aussi m’avez-vous grondé, une fois de l’autre côté.

— Je ne m’en souviens pas, et pourtant, je puis le dire, ce jour-là j’avais peur. L’eau courait si vite, l’écume était si blanche et le bruit si assourdissant que j’hésitais. Si vous m’en aviez laissé le temps, Frank, j’aurais bien passé seule. — Et, s’appuyant sur son