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William Godwin, né à Wisbeach en 1756, était le septième de treize enfans. On aimerait à savoir comment une famille aussi nombreuse put être entretenue avec un revenu qui ne dépassa jamais 1,300 francs : M. Kegan Paul ne le dit pas. Le jeune Godwin paraît avoir été un enfant précoce et qui montrait pour la prédication des dispositions étonnantes, car il n’avait pas huit ans que déjà, monté sur une chaise, il prêchait de petits sermons dans la cuisine. Plus tard, à l’école qu’il fréquentait, son zèle s’exerçait sur ses camarades. Une fois même, pour donner plus de force à son éloquence, il se procura en cachette la clé du temple dissident, et, du haut de la chaire paternelle, adressa ses exhortations à l’un de ses condisciples dont l’âme lui semblait particulièrement en danger. En 1767, on le remit aux soins du ministre indépendant de Norwich, Samuel Newton, qui partageait les opinions religieuses d’un certain Sandeman, connu dans le nord de l’Angleterre pour son calvinisme outré. Godwin prétendait méchamment que Calvin se contente de damner les quatre-vingt-dix-neuf centièmes du genre humain, tandis que Sandeman avait trouvé le moyen de damner quatre-vingt-dix-neuf sur cent des disciples de Calvin. Il faut ajouter que Godwin ne s’est avisé que longtemps après de cette distinction plaisante. Pour le moment, il accepta docilement les doctrines de son nouveau maître. Il est vrai que celui-ci avait pour les faire pénétrer des moyens irrésistibles, parmi lesquels la verge n’était pas un des moindres. La première fois que M. Newton, après une exhortation pleine de métaphores facétieuses, fit voir au petit garçon trop épris de sa personne cet argument tout nouveau pour lui, il lui sembla qu’il tombait du ciel sur la terre. Il faut croire pourtant qu’il finit par s’y habituer, car pendant trois ans il vécut en bons termes avec son rigoureux précepteur. Il sortit même de ses mains si convaincu de la vérité de ses principes, que, lorsqu’il se présenta au séminaire dissident de Homerion, on ne voulut pas l’y recevoir : on le suspectait de sandemanianisme. Il alla frapper à la porte de Hoxton Collège, où l’on fut moins difficile.

Dans l’intervalle, son père était mort, et il avait accepté cette perte avec le stoïcisme qui ne l’abandonna jamais dans les deuils de famille. Ses études théologiques durèrent cinq ans. Il lut, du moins il l’affirme, tous les auteurs de quelque réputation qui ont écrit sur les points les plus discutés de la doctrine chrétienne, se levant à cinq heures du matin et se couchant à minuit par amour de la métaphysique. Pour se détendre l’esprit, il faisait des plans de tragédie, ce qui est un moyen héroïque. En fin de compte, il en resta au calvinisme. Quand il quitta Hoxton, il avait l’esprit muni de toutes les connaissances nécessaires : une seule chose lui manquait; mais il ne s’en aperçut qu’après. L’histoire de son ministère évangélique