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demandes des puissances. Pour triompher d’un tel aveuglement, il fallait quelque chose de plus que des représentations officielles et des notes diplomatiques.

Est-ce le droit des gens, est-ce le respect de l’indépendance ottomane qui ont décidé l’Angleterre et l’Europe à s’incliner silencieusement devant le non possumus du divan? On a beaucoup répété que les traités défendaient aux puissances toute intervention effective en Turquie et que le droit international prohibait toute mesure de coercition vis-à-vis d’un état étranger en lutte avec ses sujets ou ses vassaux révoltés. De pareils scrupules semblent singulièrement timorés quand il s’agit des plus hauts intérêts de la civilisation et de la paix générale. Si dans une maison il éclatait périodiquement des incendies menaçant d’embraser les maisons contiguës, le propriétaire serait-il libre d’interdire à ses voisins de l’aider et au besoin de le contraindre à éteindre un feu qui peut les consumer eux-mêmes? La Turquie est pour l’Europe comme une de ces fabriques ou l’un de ces dépôts de matières inflammables que la police est obligée de soumettre à des règlemens spéciaux. En dépit de toutes les théories, l’Europe sera malgré elle pendant longtemps encore dans la nécessité d’intervenir plus ou moins souvent, plus ou moins ouvertement dans les affaires ottomanes. Ce sera beaucoup si elle peut échapper au besoin de mettre la Turquie, comme un mineur ou un incapable, en tutelle ou en curatelle.

Le passé peut à cet égard éclairer l’avenir. De fait, l’immixtion des puissances dans les affaires du sultan a depuis un demi-siècle été continuelle. La Turquie lui a dû plus d’une fois son salut. L’on peut dire que les précédens ont créé un droit d’intervention et que les traités ne l’ont pas abrogé. Si le droit d’intervention individuelle au nom d’intérêts particuliers russes, autrichiens, anglais, a toujours été justement contesté, le droit d’intervention collective a toujours été admis de l’Europe, toujours plus ou moins implicitement reconnu de la Porte elle-même. Quand par le traité de Paris la Turquie fut officiellement admise dans le concert européen, elle s’engagea solennellement à l’exécution du hatti-houmaîoun promettant aux chrétiens l’égalité religieuse, militaire et civile. C’est à ce prix que les puissances sanctionnèrent l’indépendance de la Porte et s’engagèrent à ne plus s’immiscer dans les rapports du sultan avec ses sujets. Si ce traité avait un sens, c’était un contrat synallagmaiique, n’engageant l’Europe qu’autant que la Porte remplirait ses propres engagemens. Les puissances signataires du traité avaient le droit de veiller elles-mêmes à son exécution, le droit de s’enquérir si la Porte était fidèle à ses promesses, et en cas de besoin elles restaient libres d’aviser aux moyens de suppléer au mauvais vouloir ou à l’impuissance du divan. Le traité de Paris, qu’on