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de l’Autriche et de la France, et cependant, après de si redoutables événemens et de si glorieux succès qui ont excité dans tous les cabinets la jalousie, la surprise et la crainte, nous avons réussi à répandre partout la conviction que l’Allemagne n’est pas une puissance essentiellement militaire et guerrière, mais qu’après avoir reconquis ses anciennes frontières, elle s’est imposé la tâche de poursuivre par des voies pacifiques son développement intérieur, sans nourrir aucun mauvais dessein à l’égard des puissances voisines. C’est l’œuvre de l’empereur et de son chancelier, et voilà pourquoi non-seulement en Allemagne, mais dans toute l’Europe, la retraite du chancelier de l’empire serait considérée comme un événement fatal et inquiétant. » — « M. de Bennigsen, a répondu le chef du centre catholique, a coutume d’être bien informé; puisqu’il a insisté sur la politique pacifique de M. de Bismarck, j’en conclus que cette politique l’emporte aujourd’hui, et personne ne peut s’en réjouir plus que moi dans un moment où les troubles orientaux ont provoqué une guerre ouverte entre deux puissances. » C’est ainsi que dans la séance du 13 avril M. de Bismarck a été célébré comme le génie de la paix, et le 26 avril, les déclarations faites par M. de Bennigsen ont été confirmées par M. Lasker et par M. de Moltke lui-même. Si ces prophéties excellentes s’accomplissent, si M. de Bismarck travaille à localiser la guerre et à préserver la paix générale, si le jour où il sortira de son nuage il se présente au monde une branche d’olivier à la main, le monde lui en aura la plus vive reconnaissance, et la santé du chancelier deviendra aussi chère à l’Europe qu’elle peut l’être à M. de Bennigsen ou au comte Bethusy-Huc.

Il est téméraire assurément de vouloir annoncer et prédire ce que fera M. de Bismarck, tel cas échéant. Nous vivons dans un temps où les événemens semblent se jouer de toutes les prévoyances humaines, où toutes les mesures proposées trompent l’attente de ceux-là même qui avaient cru sauver la paix du monde en les conseillant. On voit dans une comédie représentée avec beaucoup de succès un intrigant politique qui, moyennant finance, emploie des femmes de petite vertu à extorquer leurs secrets à tous les secrétaires de deuxième ou de troisième classe qu’elles peuvent attirer dans leurs filets; ce malhonnête bonhomme, fin comme une dague de plomb, revend très cher à son gouvernement les précieuses informations que lui procurent ses sirènes blondes ou brunes. Les temps sont bien changés; aujourd’hui les secrets de secrétaires, qu’ils soient de première ou de deuxième classe, ne valent pas beaucoup d’argent. Les chargés d’affaires eux-mêmes, les chefs de légations, les ambassadeurs, n’ont pas de peine à ne pas commettre le péché d’indiscrétion, il leur en coûte peu d’avoir l’air d’ignorer ce qu’ils ne savent pas. Il vivent la plupart au jour le jour, et leur tête deviendrait subitement transparente que nous n’en serions pas plus éclairés sur l’avenir prochain de l’Europe. N’avons-nous pas entendu des diplomates