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les nerfs. Heureusement la France a fort bien compris que les avances que lui faisait la Russie n’étaient pas sérieuses, qu’elles étaient seulement destinées à exciter les jalousies de l’Allemagne, à la rendre plus souple, plus complaisante aux désirs du prince Gortchakof. Selon l’expression d’un spirituel diplomate, le cabinet de Saint-Pétersbourg voulait faire jouer à la France le rôle d’une mouche cantharide; mais c’est un rôle qu’elle a eu la modestie ou l’orgueil de refuser. M. de Bismarck n’a pas de raisons pour douter de la sagesse des Français, tant qu’ils seront en république; mais il estime que cette sagesse est le fruit de l’inquiétude, et de temps à autre il croit nécessaire de réveiller les inquiétudes françaises par des tracasseries. Cet homme si audacieux est infiniment circonspect et aussi longtemps que le grand ouvrage de l’organisation intérieure de l’Allemagne ne sera pas achevé, il sera défiant et ombrageux. Il a jugé que dans l’intérêt de l’unité allemande il devait entrer en lutte avec l’église et le particularisme catholique, et que des provinces gouvernées par un clergé ultramontain seraient toujours des provinces d’une fidélité douteuse. Il a aujourd’hui sa Vendée, et quiconque se permet de conspirer avec sa Vendée est à ses yeux son pire ennemi ; il n’est pas besoin de vous dire qu’il est dans son caractère d’aimer à détruire ses ennemis, et si jamais il voulait ameuter les Allemands contre la France, certaines imprudences cléricales lui donneraient beau jeu. »

On peut répondre à cela que, de ce côté-ci des Vosges, l’opinion publique n’a pas attendu les avertissemens de M. de Bismarck pour faire justice de certaines imprudences cléricales et des provocations insensées de prélats brouillons qui calomnient l’épiscopat, en faisant croire aux étrangers que les évêques français sont des Français dont la patrie n’est pas en France. Bien que la France n’éprouve point ces craintes perpétuelles, ces appréhensions pusillanimes qu’on se plaît à lui prêter, elle est fermement résolue à ne pas se mêler des affaires de ses voisins, et elle n’aurait garde de conspirer avec les Vendéens d’aucun pays. Elle exige de son gouvernement qu’il n’épouse aucune autre cause que la sienne, et elle se défie de tous les conseils que pourraient lui donner les hommes de parti. Cléricaux ou autres, les hommes de parti ont tous l’esprit monastique, ils ont plus à cœur la prospérité de leur couvent que le bien de leur patrie. Nous avons lu quelque part que quand Mahomet II assiégea Constantinople, les moines s’occupaient beaucoup plus de défendre contre l’hérésie l’éternité de la lumière du Thabor, qu’ils croyaient voir à leur nombril, que de défendre la ville et ses remparts contre les Turcs.


G. VALBERT.