Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Frauenstædt, une longue dissertation contre l’impératif catégorique, et de distinguer ce que l’on doit à une mère en général et à telle mère en particulier[1]. Les rapports délicats du cœur ne peuvent être soumis à cette casuistique pédantesque.

Quoi qu’il en soit de cet incident, Mme Schopenhauer se transporta de Hambourg à Weimar en 1806, quatorze jours avant la bataille d’Iéna. En peu de temps, sa réputation d’esprit l’avait déjà mise en rapport d’amitié avec toutes les célébrités de la ville. Son salon déviât un centre qui deux fois par semaine recevait des hommes tels que Goethe, Wieland, Werner, les frères Grimm, les deux Schlegel. Elle était aussi très bien vue à la cour. Elle débuta dans la carrière littéraire par sa Biographie; elle obtint bientôt les plus brillans succès et devint un des écrivains les plus aimés du public. De toutes ses amitiés littéraires, la plus illustre et la plus durable fut celle de Goethe, qui la voyait souvent et avait pour son esprit brillant et pénétrant la plus grande considération. Ce fut pour le jeune Arthur Schopenhauer l’occasion d’entrer en commerce avec ce grand homme, pour lequel il conserva toute sa vie, lui si méprisant de la gloire d’autrui, la plus profonde admiration.

Pendant ce temps, Schopenhauer était à la tête de la maison de commerce de Hambourg, et ne laissait guère prévoir qu’il serait un des premiers philosophes de son temps ; mais ce n’était que par piété pour la mémoire de son père qu’il en avait pris la succession. Dans le fond du cœur, il avait pour la carrière du commerce une répugnance qui dégénéra bientôt en profonde mélancolie. Ici il faut rendre justice à sa mère; ce fut elle qui vint à son secours : elle communiqua à l’un de ses amis de Weimar une lettre désolée du jeune commerçant. Ce sage ami lui répondit qu’il n’y avait pas de temps à perdre et qu’il fallait changer de carrière. A la réception de cette lettre, que lui adressa sa mère, le jeune misanthrope, malgré l’œs triplex dont était formé son cœur, fondit en larmes et se décida sans hésiter. Sa mère non-seulement ne lui fit aucun obstacle, mais encore l’encouragea avec une sollicitude toute maternelle. C’est à cette époque qu’il s’appliqua sérieusement à refaire et à compléter ses études classiques d’abord à Gotha, sous la direction de Jacobi et de Dœring, puis à Weimar sous la direction de Passow et de Lenz. En 1809, il se sentit en état de suivre les cours universitaires, et il se rendit à Gœttingue, où il se fit inscrire d’abord à la faculté de médecine et de là bientôt à celle de philosophie. Parmi les professeurs de la première dont il reçut les leçons, on remarque le célèbre

  1. Épictète avait fait la même distinction, mais pour en tirer une conclusion inverse. Il Ce n’est pas avec un bon père que la nature t’a uni, c’est avec un père. »