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mais encore de définir une phase particulière dans la vie esthétique de l’humanité, d’en présenter une face inaperçue ou mal connue, de déterminer les lois du beau conçues par une race qui n’a vraisemblablement puisé à aucune des sources auxquelles la nôtre s’est inspirée. Toutes les traditions de l’Europe lui viennent de l’Egypte et de la Grèce, toutes celles du Japon lui viennent de la Chine et de lui-même : parties des deux pôles opposés, la race blanche et la race jaune vont-elles se rencontrer ou s’écarter de plus en plus? Existe-t-il un type immuable, commun à tous, et dont tous se rapprochent? Y a-t-il au contraire un idéal mongol et un idéal aryen? Et dans ce dernier cas, quel rang faut-il assigner aux œuvres et aux préceptes de l’art japonais, par rapport à cette conception du beau absolu que nous regardons volontiers comme universelle et dont la notion nous semble, suivant la belle pensée de Platon, une loi divine oubliée jadis par l’humanité, retrouvée et formulée par les Grecs?


I.

L’architecture d’une nation devrait former le premier chapitre de son histoire. Le penchant à bâtir est en effet plus ou moins développé suivant la valeur des races et le rôle qu’elles s’attribuent dans le monde. Tandis que le sauvage et l’homme médiocre ne songent qu’à se construire un abri d’un jour contre les intempéries, l’homme de haute lignée veut fonder pour l’éternité des édifices de marbre et de granit qui racontent au génération futures sa grandeur et sa gloire; il veut résumer dans un symbole impérissable ses ambitions, ses pensées, ses rêves d’orgueil, et racheter par la durée de ses œuvres la rapidité de son passage sur la terre; 30,000 esclaves expireront au pied des Pyramides; Athènes épuisera son trésor pour élever le Parthénon; Rome écrasera d’impôts les provinces pour se donner des palais de marbre, mais les siècles viendront chacun à son tour saluer devant ces monumens immortels la puissance et la majesté des ancêtres. Parcourez le monde, et, comme ce naufragé qui, en apercevant des figures de géométrie tracées sur le sable du rivage, s’écriait : « Loués soient les dieux, nous ne sommes point tombés chez des barbares! » vous pourrez, au seul aspect des lieux, pressentir les sentimens, le caractère, la valeur morale des hôtes chez qui le hasard vous aura conduit.

Quand un voyageur parcourt le Japon, le tableau qui s’offre à ses yeux est, du nord au midi et de l’est à l’ouest, une nature riante et coquette, un paysage accidenté, des horizons bornés par les lignes hardies des crêtes volcaniques, une interminable série de petites