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montagnes enfermant de charmantes vallées, et, par exception, quelques plaines dans le voisinage de la mer; puis, au milieu de ces sites pittoresques, le long des routes peu praticables, des villages et des bourgs aux maisons basses et rampantes, isolées les unes des autres par des jardins et des cours; des villes où les habitations pauvres se massent sur les canaux, les chemins et les fleuves, tandis que les habitations riches disparaissent derrière les murs et les arbres d’un parc; enfin des temples semés dans la campagne ou dans les faubourgs des cités, et des siro (forteresses féodales) disséminés dans les diverses provinces. Toutes ces constructions sont conçues d’après un petit nombre de modèles dont l’architecte ne s’écarte jamais. On ne rencontre ni une place publique, ni une maison de ville, ni une bourse, pas même un théâtre, un pont ou un aqueduc d’aspect monumental. L’étranger peut donc affirmer dès le premier abord qu’il est chez un peuple routinier, formaliste, enfermé, soit par les lois, soit par quelques conditions climatologiques, dans un cercle restreint et infranchissable, que la vie publique n’a aucune place dans les mœurs politiques, qu’enfin l’individu ne considère sa demeure que comme un abri d’un jour, et se comporte sur la planète plutôt comme un passant prêt à plier bagage que comme un maître définitif.

Mais si, voulant pénétrer plus avant dans la pensée intime des constructeurs japonais, l’observateur essaie de découvrir, par l’analyse de leurs œuvres, la notion qu’ils ont de l’art et la conception qu’ils se font du monde moral, il sera amené à constater la permanence de certains caractères généraux dont le sens esthétique se laisse facilement saisir. Notons tout d’abord que les plus vastes édifices comme les plus humbles sont en bois, matière dont la nature seule supprime l’idée de durée éternelle qui semble s’attacher d’elle-même à une œuvre architectonique. En second lieu, l’œil cherche en vain les grandes lignes horizontales ou verticales dont les unes reposent pour ainsi dire l’âme du spectateur, tandis que les autres élèvent sa pensée, et dont la prédominance plus ou moins accusée donne leur signification à tous nos monumens. On ne voit ici que des lignes brisées, fuyantes; les piliers disparaissent dans l’ombre immense du toit; la toiture elle-même n’est qu’une série de surfaces curvilignes. L’élévation très simple répond à un plan compliqué; une même façade présente un premier, un second, un troisième corps de bâtiment, enjambant les uns sur les autres comme des maisons mal alignées. Une troisième particularité, commune à toute l’architecture japonaise, est la prépondérance des vides sur les pleins. Temples et yashki, maisons de ville et maisons des champs, n’ont pour ainsi dire pas de murailles; la couverture est supportée par des piliers que réunissent des châssis mobiles. Fermés,