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dont les esprits les meilleurs étaient alors atteints. Tout le monde sentait que l’heure de l’action était venue, et nul ne savait quelle action il convenait d’engager.

Enfin, après des atermoiemens dont l’avenir pénétrera peut-être le mystère, on résolut d’agir. Dans la soirée du 17 mars, les chefs de corps furent réunis au Louvre chez le général Vinoy, gouverneur de Paris, et ils reçurent communication des opérations militaires qu’ils devaient diriger dans la matinée du lendemain. Beaucoup se récrièrent, parlèrent de l’esprit indiscipliné de leurs troupes et ne cachèrent pas que le succès de l’entreprise leur paraissait douteux. Cette fois, l’ordre était formel ; les objections se turent, et chacun se prépara à obéir. On connaît cette néfaste aventure, dont le résultat dépassa toutes les craintes des conservateurs et toutes les espérances des révolutionnaires : engagement de troupes très indécises, entre autres du 88e de ligne ; retard dans l’envoi des attelages ; premier succès immédiatement suivi de la débandade des soldats, noyés au milieu d’un flot de population que l’on n’avait pas su maintenir à distance ; assassinat des généraux Lecomte et Clément Thomas, massacrés à Montmartre, rue des Rosiers, dans la maison où le comité central avait souvent tenu séance. À midi, nul espoir ne pouvait subsister, la journée était définitivement perdue. M. Thiers, se rappelant que le feld-maréchal Windischgrætz avait repris Vienne de haute lutte en 1848, après en avoir été chassé, fit transmettre ordre à toutes les administrations d’avoir à se rallier à Versailles, où le siège du gouvernement allait s’établir en permanence. Lui-même s’y rendit après avoir prescrit l’évacuation des forts du sud et la concentration à Versailles de la brigade Daudel, ce qui impliquait l’abandon du Mont-Valérien. Cet ordre verbal fut répété et écrit par lui au moment où il allait traverser le pont de Sèvres. La retraite administrative fut rapide ; le soir, tous les services, privés de leurs chefs, étaient désorganisés ; Paris, sans police, sans armée, sans gouvernement, était livré à la bande des émeutiers triomphans.

Si M. Thiers fut surpris de sa défaite, le comité central ne fut pas moins étonné de sa victoire ; plus d’un vainqueur l’a dit : « Nous ne savions que faire et nous étions fort embarrassés. » C’était cependant le comité central qui avait mené la journée ; n’ayant rien prévu des événemens qui le prenaient à l’improviste, il se réunit dans une salle d’école de la rue Basfroi, et l’on avisa rapidement aux mesures propres à neutraliser le tardif effort du gouvernement, qui livrait bataille pour reprendre des canons dont il n’aurait jamais dû se dessaisir, sous quelque prétexte que ce fût. Bergeret, envoyé à Montmartre, Varlin, à Batignolles, devaient faire leur jonction, marcher sur la place Vendôme et s’y barricader, après s’être emparés des états-majors ; Fallot, passant derrière l’École-Militaire et