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passé par son cœur, lorsqu’après avoir tout épuisé, j’ai osé le rendre responsable envers lui-même du sort qu’il pouvait réserver à Mme la dauphine, peut-être éloignée à dessein dans ce moment; lorsque je le forçai d’entendre qu’une heure, une minute d’hésitation pouvait tout compromettre, si les désastres de Paris parvenaient sur son passage dans une commune ou dans une cité, et que les autorités ne pussent pas la protéger. Je le forçai d’entendre que lui seul la condamnait au seul malheur qu’elle n’eût pas encore connu, celui des outrages d’une population irritée. Des pleurs ont alors mouillé les yeux du roi; au même instant, sa sévérité a disparu, ses résolutions ont changé, sa tête s’est baissée sur sa poitrine; il m’a dit d’une voix basse, mais très émue : — Je vais dire à mon fils d’écrire et d’assembler le conseil. »

A la suite de cette importante révélation, M. de Polignac, pressé d’en détruire l’effet, demanda à y répondre. Il avoua que ce fut après la démarche de MM. de Sémonville et d’Argout qu’il reconnut et que ses collègues reconnurent avec lui que deux obligations s’imposaient au cabinet, celle de donner sa démission et celle de retirer les ordonnances. C’est dans ce sens qu’ayant précédé à Saint-Cloud M. de Sémonville et M. d’Argout, il parla au roi. Quant aux paroles qu’on lui attribuait, il en désavouait la signification en rappelant qu’il avait fait, pour mettre un terme à la lutte engagée dans les rues de Paris, tout ce qu’il pouvait faire. M. de Peyronnet appuya ces observations, en rappelant qu’il s’était joint à M. de Polignac pour faire connaître au roi l’opinion du duc de Raguse.

L’audition des témoins fut terminée dans la séance du 18 décembre, et M. Persil, l’un des commissaires de la chambre des députés, procureur-général à Paris, prononça son réquisitoire. Ce long discours, dans lequel, à côté des revendications qu’il fit entendre comme représentant de la loi, trouvèrent place les opinions du député qui, dès son entrée dans la chambre, juin 1830, s’était prononcé contre le ministère Polignac et avait ensuite protesté contre les ordonnances, était divisé en trois parties. La première traçait l’histoire de la révolution, de ses causes, et s’attachait à en légitimer les résultats, en mettant en relief la conduite criminelle des ministres de Charles X, auxquels elle reprochait surtout d’avoir armé les soldats contre des citoyens inoffensifs, des femmes et des enfans, et de n’avoir pas, dès le 28 juillet, arraché au roi la révocation des ordonnances. La seconde était consacrée à démontrer la trahison du ministère, à justifier les bases de l’accusation. Quant à l’objection tirée de la violation de la charte à l’égard du roi, violation qui, selon les accusés, détruisait leur responsabilité, l’orateur y répondait en disant : « La morale la plus commune exige que ceux qui ont commis la faute en supportent les conséquences. » La troisième