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Cicéron lui-même aurait avoué l’action, le geste et le langage[1]. »

À M. de Martignac succéda M. de Peyronnet, qui voulut prendre la parole avant son défenseur pour raconter brièvement sa vie, et qui parla pendant quelques instans avec autant de calme que de simplicité. Aux actes reprochés à son ministère, il opposait ses services, des bienfaits ignorés, la liberté ou la vie rendue par lui à 300 condamnés politiques. « S’il me faut une rançon, elle est payée d’avance. J’ai rendu à l’ennemi 300 têtes des siens pour la mienne. » Parlant des ordonnances, il ajouta : « Pourquoi les ai-je signées ? Ce secret est dans mon cœur et n’en doit pas sortir. Il y est accompagné d’amertume et de souvenirs douloureux… Le sang a coulé, voilà le souvenir qui me pèse… Un malheureux frappé comme moi n’a guère plus que des larmes, et l’on doit peut-être lui tenir compte de celles qu’il ne garde pas pour lui-même. » Cette allocution attendrie facilitait la tâche de M. Hennequin. Il n’eut plus qu’à suivre, jour par jour, la conduite de M. de Peyronnet, à la justifier par la lecture de documens et de preuves. Il lui rendit un éloquent hommage, allant jusqu’à dire que les couronnes civiques avaient récompensé des services moindres que ceux de son client. « J’ai parlé de couronnes ! s’écria-t-il tout à coup. De couronnes ! Malheureux, quand la patrie est en deuil ! Ah ! des couronnes, c’est aux tombes qui se sont ouvertes qu’il faut les offrir, et non pas à l’homme si profondément malheureux de les avoir vues s’ouvrir ! »

Le tour de M. Paul Sauzet était venu. En écoutant M. de Martignac trouver des accens généreux et pathétiques pour défendre son ancien adversaire et mettre au service d’une cause désespérée sa persuasive éloquence, l’assemblée tout entière avait été saisie de cet indicible émoi que tout grand spectacle éveille dans l’âme humaine. Elle éprouva une sensation analogue quand elle vit se lever le jeune avocat de Lyon et quand sa voix harmonieuse commença à se faire entendre. M. Paul Sauzet, ce jour-là, se couvrit de gloire. Inconnu la veille, il fut célèbre le lendemain. M. Royer-Collard déclara que, depuis Mirabeau, aucun discours plus saisissant n’avait été prononcé, et l’historien Niebuhr, quelques semaines plus tard, couché sur son lit de mort, oubliait son mal pour se faire lire cette magnifique plaidoirie dont les auditeurs ont conservé un inoubliable souvenir. On ne saurait analyser une telle page ; il faut la lire pour l’admirer. M. Sauzet plaida la nécessité, et, avec un art consommé, s’attacha à démontrer que la restauration devait fatalement faire ce qu’elle avait fait, qu’elle ne pouvait pas ne pas le faire. Il y avait guerre entre les Bourbons et la France, et la liberté

  1. Notes biographiques du duc de Broglie, citées dans notre livre, le Ministère de M. de Martignac.