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de l’école de Manchester, partisans avoués de la paix partout et à tout prix, et les tories, plus jaloux de maintenir au dehors la puissance et l’influence de l’Angleterre. Suivant les uns, la Russie forme dans l’Asie centrale une pépinière de soldats pour la conquête de l’Inde; suivant les autres, elle prépare de nouveaux cliens pour les filateurs anglais. Comment avec une pareille divergence de vues le langage et la conduite pourraient-ils demeurer les mêmes?

Les Anglais ne sont pas moins injustes que leurs rivaux lorsqu’ils accusent la politique russe de manquer de franchise et de bonne foi. Ils mettent en opposition la célèbre circulaire du prince Gortchakof, de 1866, et les conquêtes qui l’ont suivie, les engagemens pris par le comte Schouvalof au commencement de 1873 et l’annexion d’une partie du territoire de Khiva aux possessions russes. La contradiction que les faits semblent établir entre les promesses et les actes n’est pas intentionnelle. Les documens officiels et surtout les instructions adressées à diverses reprises aux autorités du Turkestan le démontreraient surabondamment. La chancellerie de Saint-Pétersbourg, dont l’attention est tournée presque exclusivement vers l’Occident, et qui est obligée de compter avec l’Angleterre dans le règlement de toutes les questions européennes, n’est point disposée à compromettre le succès des plus graves et plus importantes négociations pour la satisfaction d’ajouter à l’immense empire du tsar le territoire de quelque peuplade turcomane. Les instructions envoyées dans le Turkestan interdisent invariablement toute annexion nouvelle ; mais les gouverneurs-généraux, abusant de l’éloignement où ils sont de l’autorité centrale et des pouvoirs étendus qu’il faut bien leur laisser, n’hésitent jamais à placer leur propre gouvernement en face d’un fait accompli qu’ils lui laissent la tâche d’expliquer et de justifier. Les complications locales, les nécessités militaires, l’entraînement de la conquête, ne permettent pas de s’arrêter. Les recommandations de la chancellerie russe ne sont pas plus écoutées à Tashkend que celles du parlement et de Downing-Street ne le sont à Calcutta. Chaque pas que les deux empires font en avant coûte sa couronne à quelque khan de l’Asie centrale ou à quelque rajah de l’Hindoustan.

Les deux gouvernemens ont cherché s’il ne leur était pas possible d’écarter, par un partage anticipé de l’Asie centrale, tout sujet de rivalité et toute occasion de conflit. Au commencement de 1869, dans un entretien avec le baron Brunnow, ambassadeur de Russie, lord Clarendon, tout en déclarant que le gouvernement britannique n’avait pas sujet de s’inquiéter des rapides progrès de la Russie dans l’Asie centrale, ajouta qu’il y avait néanmoins quelque chose affaire pour calmer l’émotion et les soupçons du peuple et des journaux anglais. Il suggéra donc la détermination entre les