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formule unique et souveraine de l’accomplir. Les esprits qui jugent de la sorte ont un rôle à jouer dans l’effort commun. Ils ont à exciter ceux qui doutent d’une issue, à tempérer, à ne pas suivre ceux qui voient à chaque pas le labarum. Ils ont à multiplier les points de vue de l’histoire, les documens de l’érudition, les variétés réelles, innombrables qui déconcertent les unités étroites et factices… Ils ont enfin à ne pas laisser dépérir dans ces routes pénibles les facultés délicates, brillantes, l’imagination, l’âme, l’art et toutes les cultures qu’il suggère. C’est une pensée semblable, une pensée de bon sens, d’étude, de tolérance, de progrès laborieux et aussi d’agrément qui anime l’ensemble de la Revue. C’est son genre d’unité, et elle tâchera de s’y affermir de plus en plus au milieu de tant d’assertions téméraires et de promesses ambitieuses… » (1er mars 1833.) — C’est l’âge fabuleux et légendaire de la Revue, qui se confond avec le premier essor des talens du siècle, avec les années militantes du régime de 1830.

D’autres jours sont venus, mêlés de prospérités et d’épreuves. En réalité, l’impulsion une fois donnée, ce qui arrive désormais n’est plus qu’une suite, un développement ou une série de développemens. Qu’on remarque en effet que depuis le premier jour la Revue procède par une sorte de formation successive, étendant par degrés son cadre, sa sphère d’action, sans dévier néanmoins de sa direction essentielle de la pensée intime qui l’inspire. Elle naît en 1831 : à partir de ce moment, elle passe près de dix ans à conquérir, avec l’éclat littéraire, l’importance politique. Elle n’a pas seulement l’incomparable « pléiade » des poètes, des romanciers, des critiques nés en même temps qu’elle et déjà populaires ; elle acquiert d’année en année dans tous les ordres de travaux les collaborateurs éminens : elle compte dans ses rangs, avec Augustin Thierry, Victor Cousin, M. Mignet, qui commence en 1835 ses études sur la réformation, M. Michel Chevalier, qui publie en 1836 ses Lettres sur l’Amérique du Nord, Léon Faucher, le vigoureux économiste, M. de Carné, l’honnête publiciste d’un torysme sensé dans une monarchie démocratique. Dès 1840, elle hérite d’une autre revue inspirée par M. Guizot et réduite à disparaître ; elle reçoit d’un seul coup un « brillant bataillon, » M. de Rémusat, M. Vitet, M. Léonce de Lavergne, M. Duvergier de Hauranne, Rossi, le politique plein de sagacité, qui prend la « chronique » après Loève-Veimars, après M. Lefebvre de Bécour, un des plus vifs esprits, un de nos plus aimables diplomates d’hier. C’est l’élite de 1830 dans la variété de ses talens, dans l’éclat de son activité et de ses succès. M. Thiers lui-même, président du conseil en 1840, est un jour un collaborateur voilé et facilement deviné.