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aux détenus, ni aux otages. M. Coré était prisonnier, mais il avait rendu un grand service à tout le personnel du dépôt, car Raoul Rigault, tenant compte de ses observations, prescrivit la retraite de la compagnie fédérée, qui avait reçu de Jollivet mandat de s’emparer de la prison et d’en faire la police.

Le premier otage et le premier des otages fut amené le lendemain. Jusque-là on avait pu croire que les gendarmes, les gardes républicains, les anciens sergens de ville arrêtés étaient considérés comme prisonniers de guerre et qu’on les retenait sous les verrous simplement pour les empêcher d’aller rejoindre le gouvernement siégeant à Versailles ; mais dès le 21 mars on dut comprendre de quel sort les gens de bien étaient menacés. Parmi les hauts personnages de la magistrature et de la politique, un homme s’était toujours distingué par ses idées tolérantes en religion, libérales en politique ; pendant la guerre, il avait, malgré son âge avancé, donné l’exemple du patriotisme et, toutes les fois qu’il en avait trouvé l’occasion, il avait fait acte de présence aux fortifications et ailleurs. Travailleur infatigable, il n’avait dû sa grande situation, l’honorabilité extrême dont il était entouré, qu’à lui-même et à des efforts que rien n’avait pu ralentir. C’était M. Bonjean, l’un des présidens de chambre de la cour de cassation, petit vieillard alerte, ingénieux, éloquent, très respecté, toujours écouté, aimant le bien naturellement, le faisant avec passion, voué au devoir et à la vertu. Le 21 mars, il avait présidé la chambre des requêtes, — car justice ne chôme ; — vers cinq heures du soir, on alla le saisir chez lui et on le conduisit au dépôt. Il donna ses noms au greffe : Bonjean (Louis-Bernard) âgé de soixante-six ans, né à Valence (Drôme) ; l’ordre d’écrou portait : Au secret le plus absolu. Le président fut enfermé dans la cellule no 6, où, pendant les seize jours qu’il y resta, il fut, de la part des surveillans et des greffiers, l’objet des attentions compatibles avec le mauvais vouloir agressif du citoyen directeur. M. Coré, du fond de son cabanon, n’avait point perdu toute autorité et ne cessait de recommander à son personnel de redoubler de sollicitude envers M. Bonjean. Deux femmes surtout furent utiles à celui-ci : Mme Coré, qui continuait à habiter son appartement du dépôt, et la femme du sous-brigadier Braquond ; autant qu’il leur fut possible, elles adoucirent la très dure captivité du président, lui donnèrent les soins que réclamait souvent le mauvais état de sa santé et réussirent à lui procurer une nourriture moins défectueuse que l’ordinaire de la prison.

Si les otages détenus, aux dernières heures de la commune, n’ont point tous été massacrés, si le plus grand nombre a pu échapper à une mort atroce, ils le doivent exclusivement aux greffiers,