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« Mon cher procureur-général, des notes insérées dans plusieurs journaux invitent les employés des diverses administrations de Paris à cesser tout service dans cette ville, pour se rendre à Versailles. Je ne sais si ces notes ont un caractère officiel ; mais ce qui est évident pour moi, c’est que la mesure dont elles parlent, étendue aux employés des prisons, pourrait devenir fatale à une foule d’honnêtes gens actuellement détenus à Paris sous divers prétextes. Cependant, à la lecture de ces notes, beaucoup d’employés hésitent ; quelques-uns même, craignant d’encourir la disgrâce du gouvernement, ont déjà abandonné leur service au grand chagrin des pauvres prisonniers. Autant que j’ai pu du fond de ma cellule, j’ai combattu une tendance si funeste, non certes dans l’intérêt de ma sécurité personnelle, dont je ferais bon marché, mais pour celle d’environ deux cents gendarmes, sergens de ville, commissaires de police et autres fonctionnaires, en ce moment détenus au dépôt seulement, dont la sûreté pourrait être compromise par la désertion en masse de l’ancien personnel, composé, vous le savez, d’hommes choisis parmi les meilleurs sujets de l’armée et qui comprennent mieux que ne le feraient peut-être ceux qui les remplaceraient qu’à côté du devoir d’empêcher les prisonniers de sortir, il y a pour eux le devoir plus sacré encore de les protéger contre toute violence illégale. Il me semble impossible que personne à Versailles ait pu avoir la pensée d’exposer les détenus à un aléa si terrible. Veuillez, je vous prie, mon cher procureur-général, donner connaissance à qui de droit, notamment à MM. Dufaure, Picard, Leblond, de cette note écrite à la hâte, après avoir toutefois entendu les observations que vous soumettra le porteur, qui connaît beaucoup mieux que moi tout ce qui intéresse le service des prisons. Votre ami et collègue, BONJEAN. »


Le porteur était M. Kahn, commis greffier au dépôt, qui prit cette note sans enveloppe, la dissimula sous la coiffe de son chapeau et partit pour Versailles, où il arriva sans encombre la veille du jour où l’on devait faire les obsèques de M. Fabre. Il s’adressa alors à son chef hiérarchique, M. Lecour, chef de la première division de la préfecture de police, qui fit immédiatement expédier aux employés du dépôt et à ceux de toutes les prisons de la Seine l’ordre de tenir bon à leur poste et de veiller, autant que possible, à la sécurité des personnes incarcérées sur mandats illégaux. Ce fut cette mesure, sollicitée par M. Bonjean, rapidement adoptée par M. Lecour, approuvée par le général Valentin, alors délégué à la préfecture de police, qui assura plus tard le salut d’un grand nombre d’otages, parmi lesquels malheureusement ne se trouvait plus l’homme éminent qui l’avait provoquée.

Deux fois on essaya de sauver M. Bonjean. Deux fédérés avaient