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20,000 francs, destinés aux premiers frais de départ et qui devaient être remis à Dombrowski aussitôt après l’entrée de nos troupes dans Paris, furent montrés à Hutzinger par George Veysset, qui les avait en portefeuille. Hutzinger remonta à cheval pour s’éloigner ; au moment où Veysset se préparait à rejoindre M. Planat, qui l’attendait dans sa voiture, il fut arrêté et rapidement amené à Paris. Il avait été livré par une femme Müller, qu’il avait été forcé d’employer comme intermédiaire entre Hutzinger et lui[1].

Le malheureux qui avait réussi à faire dégarnir les fortifications et à permettre passage aux troupes régulières entrait au dépôt le jour même où celles-ci, averties par M. Ducatel, pénétraient dans Paris. Dombrowski, se croyant trahi par Veysset, désespéré de se sentir abandonné dans une situation désastreuse, opéra sa retraite ; le 22 mai, en passant devant une barricade du boulevard Ornano, il fut atteint au « creux de l’estomac » d’un coup de feu tiré par une femme et ne tarda pas à mourir. On lui fit de pompeuses funérailles au Père-Lachaise, et l’on faillit fusiller, près de son cercueil, un fossoyeur qui ne témoignait pas une douleur suffisamment patriotique.

Le 22 mai, les détenus du dépôt entendirent une lointaine canonnade et ne tardèrent pas à apprendre que la dernière bataille était engagée ; ils eurent l’espoir d’être très promptement délivrés, car ils étaient persuadés que les troupes françaises allaient précipiter leur marche en avant ; ils partageaient l’illusion de toutes les personnes résidant alors à Paris et l’opinion, assurément fort désintéressée, des insurgés historiographes. « Si la plus belle armée que la France ait jamais eue, dit Lissagaray (Histoire de la commune), poussait droit devant elle par les quais et les boulevards totalement vierges de barricades, d’un seul bond, sans tirer un coup de fusil, elle étranglerait la commune. » — « Il est probable, a écrit Rossel, que l’année aurait pu, en se développant immédiatement, occuper dans la matinée (du 22) la ville proprement dite. » — « Si les versaillais avaient eu quelque audace, quelque courage, dit Arthur Arnould (Paris et la commune), ils auraient pu pendant la nuit et la matinée, par une pointe hardie, occuper les trois quarts de Paris, presque sans coup férir. » D’autre part, un historien militaire sérieux et dévoué à la cause du gouvernement français a dit : « Si l’armée avait pu dans la journée et la nuit du lundi continuer, sans tarder d’une heure, d’une minute, son mouvement offensif

  1. Pour tout cet épisode, consulter la brochure déjà citée ; elle paraît écrite avec une grande sincérité et mériter toute confiance. Les différentes pièces justificatives dont elle est accompagnée en font un document réellement historique et une source qui offre toute sécurité.