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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/57

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implore, mais les belles n’ont pas le cœur tendre et elles rabrouent le quémandeur indiscret :

Avoir pitié des hommes,
Nous n’avons pas le temps.
Les garçons sont volages
Comme la feuille au vent.
Vous qui menez la ronde,
Menez-la rondement.


Avec l’arrière-saison finissent les rondes en plein air, mais, l’hiver venu, les chansons ne chôment pas; au contraire, elles éclatent de plus belle dans le fournil où l’on brise les noix pour faire de l’huile, dans les veilloirs où l’on teille le chanvre et où les grands garçons viennent dailler aux fenêtres, c’est-à-dire intriguer du dehors les filles blotties autour de la lampe. C’est alors que les enfans écoutent, bouche bée et les yeux écarquillés, les noëls, les complaintes, les chansons d’aventure, que psalmodient les vieilles fileuses et où le merveilleux joue un rôle important. Dans ses chants, le paysan semble poursuivi du besoin d’oublier les laideurs de sa vie de tous les jours. Il n’y parle que de châteaux, de princesses, de jardins pleins de fleurs, de vaisseaux chargés d’or et d’argent. Toutes les filles y ont la main blanche, tous les galans portent des habits a bordés de dentelles » et des chapeaux de velours. Le journalier en sabots, aux habits terreux, occupé à remuer la glèbe, trompe sa misère avec des mots tout reluisans de richesse, comme certains pauvres diables trompent leur faim en lisant les descriptions savoureuses d’un livre de cuisine. Parfois ces ballades de la veillée ont une certaine valeur historique. En voici une, par exemple, qui donne en quelques couplets, avec un relief étonnant, le caractère et les mœurs d’une époque :

Le roi a fait battre tambour
Pour voir toutes ces dames,
Et la première qu’il a vue
Lui a ravi son âme.

— Marquis, dis-moi, la connais-tu?
Qui est cette jolie dame?..
Et le marquis a répondu :
— Sire roi, c’est ma femme.


Le roi est amoureux, et le marquis est ambitieux; il pense, comme dans Amphitryon, que

Un partage avec Jupiter
N’a rien du tout qui déshonore.