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Le roi le fera « beau maréchal de France, » on l’enverra guerroyer au loin, et la marquise deviendra une maîtresse royale. Tout cela est dit en douze vers, et le pauvre mari, moitié de gré, moitié de force, prend congé de sa femme :

« Adieu, ma mie, adieu, mon cœur,
Adieu, mon espérance! »
Puisqu’il te faut servir le roi
Séparons-nous d’ensemble... »

— La reine a fait faire un bouquet
De belles fleurs de lyse,
Et la senteur de ce bouquet
Fit mourir la marquise.


C’est tout. Je ne crois pas qu’il y ait dans les Volkslieder ni dans les Novellieri italiens un récit plus court, plus net, ayant en même temps plus de mouvement et de couleur poétique que cette chanson de vingt-huit vers. Les figures y sont peintes d’un trait, et elles vivent. On voit le roi vert-galant et tout-puissant, le courtisan ambitieux, amoureux et obéissant, la femme à la fois éblouie et craintive, et la reine jalouse et sacrifiée, qui se venge à la façon du XVIe siècle, en empoisonnant sa rivale dans un bouquet.

A côté de ce petit drame, voici la Complainte de Jésus-Christ, colorée et mystique comme un vitrail du moyen âge. — Pour éprouver les cœurs de deux époux, Jésus-Christ s’habille en pauvre et va demander à la porte de leur logis « les miettes de la table. » Le mari repousse ce mendiant avec la rudesse d’un rustre avare et positif ;

Les miettes de notre table.
Les chiens les mangeront bien;
Ils nous rapportent des lièvres,
Toi, tu ne rapportes rien.


Mais la femme est charitable, elle fait entrer le vagabond, qui tout à coup se transfigure devant elle :

Comme ils montaient les degrés,
Trois beaux anges les éclairaient...
— Ah! ne craignez rien, madame.
C’est la lune qui paraît.


En quatre vers, on a un tableau d’une exquise délicatesse. Rien de plus charmant que la façon dont Jésus-Christ rassure cette femme effrayée de se trouver en face d’un dieu au cortège resplendissant.

Si la Complainte de Jésus-Christ a un caractère mystique, la ballade du Roi Renaud, telle qu’on la chante dans le pays messin, a