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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/609

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la campagne. Les tours massives d’Athènes se dressent dans le ciel étoilé. Des fugitifs, attachés à des cordes que leurs complices postés sur la plate-forme déroulent graduellement, sont suspendus dans l’espace. Deux groupes exécutent cette périlleuse descente. Au premier plan, c’est une jeune mère tenant son enfant serré contre sa poitrine. Le visage de cette femme exprime l’angoisse et la curiosité, sans grimace et tout en conservant la sérénité que le peintre doit toujours marquer quand il s’agit d’un sujet grec. « Femmes, cachez vos larmes, » disait Sophocle. L’autre groupe de fugitifs est formé d’une femme et d’un jeune homme. On ne sait s’ils sont mari et femme, ou amant et maîtresse ; mais ce qui est certain, c’est que l’amour a présidé à leur harmonieux enlacement. L’ombre des corps, éclairés par la lune, se découpe en silhouettes noires avec une vigueur d’un effet saisissant sur le granit de la muraille. Tout en admirant la belle architecture des remparts, nous reprocherons à M. Glaize d’avoir créé une Athènes de fantaisie. Les tours qui flanquaient les remparts d’Athènes n’étaient point des donjons ; aussi ne s’explique-t-on pas les 100 ou 150 pieds de hauteur que leur donne M. Glaize. Après avoir fait cette réserve au nom de l’archéologie, il ne reste plus qu’à louer cette très originale composition, cette grandeur d’effet, ce mâle dessin et cette forte couleur atténuée par l’harmonie sombre de la nuit.

Pourquoi M. André Roucolle a-t-il perdu 30 mètres de bonne toile et dépensé une grande fougue d’exécution pour peindre une lutte de portefaix sous les yeux d’un grabataire pourri ? Le livret dit que c’est Sylla faisant la veille de sa mort étrangler le préteur Granius. On savait fort bien que Sylla est mort de la maladie pédiculaire. Il était inutile de peindre cet immonde spectacle dont la description seule qu’a laissée Plutarque inspire le dégoût. M. Moreau de tours cherche ses sujets tour à tour dans Tacite et dans Touchart-Lafosse, ce qui dénote un vaste éclectisme littéraire. Il a deux tableaux au Salon : le Fils du Gaulois Civilis perçant de flèches des prisonniers romains et Une Fête intime chez le Régent, — fête très intime en effet, à en juger par le costume sommaire des dames qui égaient cette scène, d’ailleurs d’un joli coloris. Le fils de Civilis a de plus sérieuses qualités. Qu’on se figure aux premiers plans une série de saints Sébastiens attachés à terre ou liés à des poteaux, et au fond d’un paysage de style le jeune Gaulois tendant son arc. C’est une savante étude de nu. Puisque nous traversons la vieille Gaule, saluons au passage les Gaulois et les Gauloises de M. Luminais, qui s’est fait avec succès leur peintre ordinaire. Nul mieux que lui ne sait peindre ces hommes aux longues chevelures rousses, aux yeux bleus, à la peau blanche, aux armes étranges et aux costumes bariolés de couleurs vives.