Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/612

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alignés en bon ordre sur un bahut dont les deux bat tans sont correctement fermés. Le livret nous conte qu’un certain prince de Soldi-Moreno ayant appris que la duchesse, sa cousine, venait d’être tuée, et que son corps nu gisait exposé à tous les regards, se rendit, suivi de quelques gentilshommes, au palais des Médina pour faire respecter le cadavre. D’un autre côté, de méchantes langues affirment que ce tableau, représentait primitivement un baptême, et que la duchesse, qui est maintenant étendue morte sur l’estrade du lit à colonnes torses, était il y a quelque temps couchée pleine de vie dans ce lit magnifique. Baptême ou pillage, il faut louer la prestance fière, la belle couleur, la brillante exécution du groupe des gentilshommes. La soie des écharpes brodées miroite sur les justaucorps de drap, le velours des hauts-de-chausses frissonne et chatoie au mouvement des jambes, les cuirasses polies jettent leur éclair froid sous les casaques de satin, les collerettes de guipure se fripent au contact des hausse-cols damasquinés, les longues plumes d’autruche tombent des chapeaux comme des lambeaux de mousseline déchiquetée, le cuir des grandes bottes fauves se crispe en mille plis, les gardes des rapières luisent sous les mains gantées et les colliers d’or étincellent aux caresses de la lumière. Cela est flamand et espagnol. M. Lesrel aurait-il donc ramassé le pinceau de Frans Hals, ce maître merveilleux qui dans ses grandes peintures de Harlem allie le relief vivant de Rembrandt à l’élégance cavalière de Velasquez ?

M. Lucien Mélingue évoque la Matinée du 10 thermidor, la un d’un monde ! Il est six heures du matin. On vient de transférer de l’Hôtel de Ville dans une salle des tuileries les chefs de la commune vaincue. Sur une table au premier plan, Robespierre est étendu, la mâchoire fracassée, du sang à ses mains et à son célèbre habit bleu, sur une petite table où, selon l’expression de Legendre, « il n’occupe que deux pieds de large, lui pour qui la veille la république n’était pas assez grande ! » A côté de Maximilien sont assis, sous la garde de gendarmes, Couthon, Robespierre jeune, Payan, le beau Saint-Just, impassible comme un marbre grec. Une foule confuse vient se repaître de l’agonie du tout-puissant chef de la montagne : on se le montre comme une bête fauve. Des députés de la plaine s’approchent pour s’assurer qu’il n’est plus à craindre ; des gardes nationaux, des sectionnaires, des gens du peuple, qui la veille admiraient le tyran sanguinaire, prodiguent au vaincu stoïque les viles insultes et les basses invectives. La composition, bien agencée, se précise dans l’action du drame. L’audacieux raccourci de la figure de Robespierre est surprenant d’effet et de vérité. Encore que le tableau se noie dans une tonalité lie de vin et que certaines figures soient