Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/617

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerrière, la critique est muette. On ne songe même pas à remarquer le bras trop long de l’homme d’équipe, ni ce train de marchandises qui, placé dans l’axe même de la colonne d’infanterie arrivant au pas de course, semble être aussi en marche, poussé par les soldats. C’est un effet d’optique qui prouve le mouvement prestigieux de cette composition.

On devrait mettre la gravure de la Passerelle de la gare de Styring dans toutes les casernes. M. de Neuville sait faire aimer la guerre. M. Protais sait la faire haïr. Rien de sinistre et de désespéré comme le tableau dont le titre a la concision d’une inscription tombale : Août 1870. Dans l’ombre épaisse d’une nuit noire, un colonel de cuirassiers est étendu mort, la main sur la garde de son épée brisée. Partout autour de lui s’étend la plaine obscure, déserte, mais dont les imperceptibles mouvemens de terrain trahissent des amoncellemens de cadavres. On se rappelle les vers épiques de Victor Hugo :

On pouvait, à des plis qui soulevaient la neige,
Voir que des régimens s’étaient endormis là.

Le second tableau exposé par M. Protais n’a au contraire rien de tragique. Le Passage du gué est un épisode des grandes manœuvres de 1876 : la division du général de Brauer franchissant la petite rivière de la Rille. Il y a un certain mouvement dans ces diverses colonnes d’infanterie arrivant de toutes les directions pour se concentrer au bord de la rivière. M. Protais a retrouvé là la gamme criarde qu’il affectionne : les tons rouges des pantalons se détachant sur les tons verts de l’herbe. Toutefois il a mis une sourdine à son pinceau ; les rouges sont moins discords et les verts moins crus que de coutume.

M. Henry Dupray a aussi emprunté aux grandes manœuvres le sujet d’un de ses tableaux. Le nombreux état-major du général Lebrun, auquel s’est joint, pour suivre les manœuvres une foule d’officiers étrangers, occupe tout le premier plan. La plus grande variété d’uniformes, d’attitudes, de physionomies, règne dans cette multitude de cavaliers. Ils suivent du regard ou de la lorgnette les mouvemens d’une ligne de tirailleurs qui, à gauche, au troisième plan, sous une rangée de pommiers, ponctuent leur marche en avant par les petits nuages de fumée des feux à volonté. Au second plan, à gauche, une masse de curieux venus des environs, pour voir la petite guerre à laquelle ils ne comprennent rien, regardent le groupe de l’état-major, et surtout les brillans uniformes des officiers étrangers. Au fond, sous un ciel gris-blanc éclairé de bleu par endroits, plus lumineux que M. Dupray n’aime à faire ses ciels, s’étend le vaste plateau de Dreux sillonné de colonnes