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remonte peut-être au temps des rois, qui parait au grand jour dès l’établissement de la république, qui durait encore sous l’empire, en excitant tant de regrets quand par hasard on y dérogeait, une coutume si enracinée tenait au sentiment le plus profond du peuple romain, au culte pour ses grands hommes, qui se confondait avec le culte de la patrie. L’oraison funèbre à Rome n’est donc pas une invention littéraire des temps cultivés, une cérémonie oratoire pour une assemblée de délicats : elle a été naïvement créée par le peuple ou pour le peuple ; elle est sortie des mœurs, elle a servi à les fortifier et à les maintenir, enfin elle a été comme une des pièces les plus durables de l’éducation civique.


I

Rome, qui en littérature a presque tout emprunté aux Grecs, ne leur est pas redevable de l’oraison funèbre. Ce sont les Romains qui ont imaginé ce genre d’éloquence, et sur ce point ils ont devancé les Athéniens eux-mêmes. Cela est affirmé par Denys d’Halicarnasse et par Plutarque, et le témoignage de ces deux écrivains grecs mérite d’autant plus de crédit qu’il est plus désintéressé. Denys assure que la première harangue funèbre fut prononcée à Rome seize ans avant que les Athéniens se fussent avisés de célébrer ainsi les morts de Marathon. Cette première harangue romaine fut celle que fit Valérius Publicola en l’honneur de son collègue Brutus, qui avait chassé les Tarquins. Pour être né sur le sol national, l’éloge funèbre à Rome eut des caractères particuliers qu’il n’eut pas en Grèce. Chez les Romains il était consacré à un homme, chez les Grecs il était collectif, accordé seulement aux guerriers tombés ensemble dans une bataille ou dans une même campagne. Ainsi furent honorés par Périclès les soldats morts dans la guerre du Péloponèse et par Démosthène ceux de Chéronée. De là, selon Denys, un autre caractère distinctif : en Grèce, on ne célébrait que le courage, puisqu’il ne s’agissait que de héros militaires ; à Rome, on vantait encore les vertus civiles. On voit ici comment la diversité des institutions s’impose même à l’éloquence. La démocratique Athènes, la république jalouse qui avait inventé l’ostracisme, se garde bien de glorifier ses grands citoyens, de peur d’exalter l’orgueil des familles et de susciter un nouveau Pisistrate ; l’aristocratique Rome, au contraire, se fait un devoir d’offrir à l’admiration du peuple les hommes distingués des maisons patriciennes et ne craint pas de les couvrir de gloire : cette gloire rejaillit sur tout le patriciat.

L’histoire de l’oraison funèbre est courte, parce que les écrivains latins des siècles lettrés ne fournissent que bien peu de renseignemens. Leur dédain ou leur silence tient à plusieurs causes. D’abord