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ils n’étaient pas en général curieux de connaître les anciens monumens littéraires de Rome, dont ils méprisaient la langue vieillie et rude. Au temps d’Auguste, la délicatesse des esprits négligeait l’antiquité romaine, comme au temps de Louis XIV elle ignorait le moyen âge. L’ancienne éloquence funèbre de Rome passa donc inaperçue, comme du reste l’éloquence politique du même temps, sur laquelle nous saurions peu de chose, s’il ne s’était rencontré dans les siècles de décadence des grammairiens, raffinés aussi, mais à rebours, blasés sur l’art régulier des œuvres classiques et qui, dans leur admiration rétrospective pour la demi-barbarie des vieux âges, nous ont conservé des fragmens et des phrases des plus anciens orateurs. Pour des raisons particulières, l’éloquence funèbre dut même être négligée plus que toute autre. Ces sortes de harangues étaient trop fréquentes, puisqu’on en prononçait à toutes les funérailles patriciennes, et que peu à peu ces honneurs furent prodigués, même dans les municipes, aux plus minces personnages, hommes ou femmes, ainsi qu’en témoignent les inscriptions des tombeaux. L’accoutumance ôtait donc de leur intérêt à ces discours. À cette banalité s’ajoutait celle de la composition, qui ne pouvait guère varier, l’usage voulant que l’on fît toujours avec l’éloge du mort celui de tous ses ancêtres. Combien de fois a-t-on dû faire, dans la suite des temps, celui des Cornélius, des Fabius ou des héros de quelque illustre et nombreuse famille ! L’uniformité de ces discours était inévitable. Chose plus fâcheuse, comme la coutume exigeait que le discours fût prononcé par le plus proche parent du défunt, l’orateur, se trouvant désigné par d’autres raisons que son éloquence, pouvait n’être pas éloquent, et c’est bien d’aventure quand il l’était. Enfin l’éloquence funèbre, eût-elle le plus grand éclat, ne pouvait laisser de vifs et durables souvenirs, parce que, calme de sa nature, elle n’offrait pas le dramatique intérêt des grandes luttes politiques et judiciaires qui chaque jour agitaient les esprits ; elle était bien vite oubliée au milieu de ce bruit sans cesse renaissant et noyée dans les tempêtes civiles. Si ce sont des étrangers, des Grecs séjournant à Rome, Polybe surtout, qui nous ont laissé sur ces coutumes les plus intéressans détails, c’est que la nouveauté du spectacle leur offrait encore des surprises et parlait à leurs yeux et à leur âme. Nous ne voulons pas peindre en ce moment ce spectacle des funérailles illustres avec leur long cortège de musiciens, de pleureuses chantant les louanges du mort, de chars portant les images de ses ancêtres, immense cérémonie où le peuple était officiellement convoqué, où il accourait comme à la célébration d’un lugubre triomphe ; mais c’est au milieu de cet appareil de la mort et de la gloire qu’il faut toujours replacer et se figurer l’éloquence funèbre romaine. Ainsi seulement peuvent reprendre quelque vie les rares