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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/669

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ma mère portait le nom, et c’est de Vénus que sortent les Jules, souche de notre famille », Il ajoutait fièrement et non sans quelque grandeur dans le style : « On trouve ainsi dans notre race et la sainteté des rois qui règnent sur les hommes, et la majesté des dieux qui règnent sur les rois mêmes. » C’est à peu près la phrase de Bossuet parlant de Dieu, qui se glorifie de faire la loi aux rois. Simple questeur à trente-deux ans, César avait déjà ces prétentions royales et divines qui, peu de temps après, furent acceptées par l’histoire et par la poésie. C’est sur elles que repose tout l’édifice de l’Enéide.

Il ne faut pas s’étonner de cette audace de César, qui brave si fort le ridicule. A Rome, ces choses ne prêtaient pas même au sourire. Pourquoi César ne serait-il pas issu de Vénus, quand d’autres, les Fabius par exemple, descendaient d’Hercule en droite ligne ? Plusieurs nobles familles avaient leurs grands parens dans l’Olympe, D’autres prenaient pour aïeule quelque nymphe honorée et devenue l’objet d’un culte rustique. D’autres, n’osant pas se proclamer, comme les Jules, petits-fils de Vénus, remontaient du moins jusqu’à Énée, ce qui revenait au même, puisque Énée était fils de la déesse, mais ce qui prouve chez eux une certaine réserve de langage. Les plus modestes se rattachaient à un des compagnons du héros troyen, trouvant sans doute que c’était encore une origine glorieuse. On profitait des plus lointaines ressemblances de noms pour prouver cette descendance. Ainsi la famille Cœcilia prétendait avoir pour auteur Cœcadès. Pour croire à une pareille parenté de noms, il faut avoir bien envie de descendre de quelqu’un. La science historique à Rome, loin de railler ces généalogies, venait au contraire les confirmer doctement, et le savant Varron entre autres avait composé un livre sur les Familles troyennes. Denys d’Halicarnasse affirme aussi que de son temps, au temps d’Auguste, il existait encore cinquante de ces familles. La plupart de ces légendes, devenues de l’histoire, étaient l’œuvre des Grecs. Quand vint le temps où ceux-ci parurent à Rome pour y chercher fortune, leur science de la mythologie, leur art de jouer avec les mots et les noms, et surtout leur complaisance vénale, fabriquèrent aux Romains les plus belles généalogies, et leur fournirent de poétiques ancêtres à un juste prix. On serait même assez tenté de croire que ces malins étrangers, profitant de l’ignorance romaine, se faisaient un plaisir d’abuser la simplicité de leurs vainqueurs en leur faisant parfois adopter une origine compromettante, témoin Galba, qui, devenu empereur, exposa dans son palais son arbre généalogique où sa race se rattachait à Pasiphaé. Quand on se fait soi-même ses aïeux, on pourrait les mieux choisir, et il n’y a pas de quoi se vanter d’avoir pour arrière-grand-père le Minotaure.