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sait comment concilier les devoirs et les bienséances de son double caractère, obligé tour à tour d’exalter les grandeurs devant les grands et de les abattre devant Dieu, et, dans cette perplexité oratoire, il est même certain de ne pas persuader son cercle restreint d’invités composé d’ambitieux et de courtisans, lesquels ne croient pas à la vanité des grandeurs et y croient si peu qu’ils aspirent dans le moment même aux dignités que la mort a rendues vacantes, et durant le discours où on feint de mettre en pièces la gloire du défunt ne pensent qu’à en recueillir pour eux-mêmes les précieux débris. Orateur et auditoire sont également dans une sorte de contrainte, et après eux le lecteur, dont l’esprit se rend avec peine à ces discours toujours un peu mensongers qui ne reposent pas sur une véritable sincérité historique, où la flatterie est d’autant plus choquante qu’elle est prodiguée au nom d’une austère religion qui la réprouve, où de plus, par une trop visible contradiction, on méprise la gloire tout en glorifiant outre mesure le héros. De là une éloquence brillante, mais sans crédit, où le sermon fait tort à l’histoire et l’histoire au sermon, une pompe convenue, décoration passagère et périssable qui ne dure guère plus longtemps que les catafalques, les titres, les inscriptions et tout ce que Bossuet appelle les vaines marques de ce qui n’est plus.


II

Les honneurs de l’oraison funèbre furent accordés même aux femmes. Au temps de Camille, après le sac de Rome par les Gaulois, la république voulut, pour accomplir un vœu, envoyer un vase d’or à Delphes, et comme l’or manquait, les dames de leur propre mouvement offrirent leurs bijoux : « en récompense de quoi, dit Plutarque traduit par Amyot, le Sénat ordonna qu’elles seraient louées publiquement de harangues funèbres après leur trépas, ni plus ni moins que les grands et honorables hommes. » Ce témoignage de Plutarque, bien qu’il soit conforme à celui de Tite-Live, a embarrassé quelquefois les historiens de la littérature romaine, parce qu’il est en désaccord avec celui de Cicéron disant que pareil honneur a été rendu pour la première fois par Catulus à sa mère Popilia, en l’an 102, au temps de Marius. Cette contradiction n’est qu’apparente et s’explique. Plutarque parle d’un privilège extraordinaire et personnel qui fut officiellement octroyé aux généreuses matrones qui avaient fait le sacrifice, d’un droit qui naturellement s’éteignit avec elles, tandis que Cicéron mentionne la première oraison funèbre qu’un orateur ait faite en l’honneur d’une dame, de son autorité privée. Cet exemple devint coutume, et