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elle mit au monde deux fils ; elle laissa l’un sur la terre et l’autre déjà enfermé dans le sein de la terre ; elle fut aimable en ses discours et noble dans sa démarche ; elle garda la maison et fila la laine. J’ai dit ; passe ! » En latin, cette épitaphe est charmante parce que le contraste d’une vieille langue et d’une orthographe archaïque avec la délicatesse du sentiment lui donne plus de grâce. On y trouve même un trait exquis, quand la pierre qui parle, après avoir arrêté le passant, l’engage à continuer bien vite son chemin de peur qu’une présence prolongée ne profane le repos et le silence d’une si pudique et discrète personne.

Par cela que la vie des femmes était enfermée en d’étroites limites et que, pour être parfaite, elle devait être partout la même, leurs éloges funèbres étaient uniformes. Il n’y avait point là des différences d’actions, d’honneurs de titres, comme dans les éloges des hommes. Une longue inscription, celle de Murdia, laisse voir que le panégyriste a quelque scrupule de redire ce qui a été déjà dit tant de fois ; après avoir épuisé la liste des vertus féminines il conclut avec une sorte de découragement : « Enfin elle était semblable à toutes les honnêtes femmes. » Il expose même longuement la cause de son embarras, non sans noblesse : « L’éloge des femmes honnêtes est toujours à peu près le même dans sa simplicité, parce que leurs qualités naturelles, non altérées sous la garde de leur propre surveillance, n’exigent pas la variété des expressions, et comme on ne leur demande à toutes que la même bonne renommée et qu’il est difficile à une femme de se donner des qualités nouvelles, sa vie ne pouvant guère sortir d’une paisible uniformité, elle cultive nécessairement des vertus communes, pour ne pas risquer, en négligeant une de ces vertus, de ternir toutes les autres. » L’orateur est embarrassé de dire du nouveau et le déclare ingénument. Eh bien ! par une assez étrange fortune, la modeste gloire de ces existences cachées, dont on était en peine de parler, est parvenue jusqu’à nous, tandis que les éloges des hommes les plus illustres ont péri. Le temps a englouti les oraisons funèbres des consuls et des triomphateurs en respectant celles de quelques matrones. Ce fait peut s’expliquer. Les éloges des hommes, par cela qu’ils étaient publiés, n’avaient que l’éphémère durée du papier ou du parchemin, tandis que ceux des femmes, qu’il eût été malséant de faire passer de main en main, étaient gravés sur la pierre durable des tombeaux. Leur brièveté relative permettait ce mode de publication, et le caractère sacré des sépultures mettait de chastes mémoires à l’abri des profanes et indiscrets propos. M. Mommsen a fait voir que trois longues inscriptions que nous possédons en grande partie, consacrées à Turia, à Murdia, à Matidia, ne sont autre chose que des